Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/70

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lieu élevé. De même que le vigneron se bâtit un lieu élevé pour garder sa vigne, ainsi en est-il des évêques. Ils ont un lieu plus élevé, et c’est de cette élévation que nous aurons à rendre un compte sévère, si nous n’y sommes dans la disposition de nous abaisser à vos pieds par l’humilité, et de prier pour vous, afin que Dieu qui connaît vos esprits veuille bien vous garder lui-même. Car nous pouvons bien vous voir entrer et vous voir sortir, mais voir vos pensées nous est si peu possible que nous ne pouvons pas même voir ce que vous faites en vos maisons. Comment donc sommes-nous vos gardiens ? Autant que le peuvent être des hommes, autant que Dieu nous en a rendus capables. Mais parce que l’humaine faiblesse nous empêche de vous garder complètement, serez-vous donc sans gardiens ? Loin de là ; car où est Celui dont il est dit : « Si le Seigneur ne garde la cité, inutilement veille celui qui la garde ? » Nous nous fatiguons à veiller, et notre travail est vain, si celui qui voit vos pensées ne vous garde lui-même. C’est lui qui vous garde pendant votre veille, lui qui vous garde encore pendant votre sommeil ; lui qui dormit une fois sur la croix, et qui est ressuscité pour ne plus dormir. Soyez donc Israël ; puisqu’il ne dort point, qu’il ne sommeille point, celui qui garde Israël[1], Allons, mes frères ! soyons Israël si nous voulons être gardés à l’ombre des ailes de Dieu. Nous vous gardons par le devoir de notre charge, mais nous voulons être gardés avec vous. Nous sommes pasteurs à votre égard, mais brebis avec vous sous le Pasteur suprême. De ce lieu élevé, nous sommes des maîtres à votre égard, mais des disciples avec vous à l’école de ce Maître unique et suprême.
4. Si nous voulons être sous la protection de celui qui s’est humilié pour nous, et qui a été élevé afin de veiller sur nous, soyons humbles à notre tour. Que nul n’ait de présomption, car nul n’a rien de bon qu’il ne l’ait reçu de celui qui seul est bon. Quiconque s’attribue à soi-même la sagesse, est un insensé. Qu’il s’humilie, afin que la sagesse vienne en lui et l’éclaire. Mais s’il se croit sage avant que la sagesse vienne en lui, il se lève avant la lumière et marche dans les ténèbres. Or, que lui dit-on dans notre psaume ? « En vain vous vous levez avant l’aurore[2] ».
Qu’est-ce à dire : « C’est chose vaine pour vous que vous lever avant l’aurore ? » Vous lever avant que la lumière soit levée, c’est vous mettre dans la nécessité de demeurer dans la vanité, puisque vous serez dans les ténèbres. Voilà que s’est levé le Christ notre lumière et il vous est bon de vous lever avec le Christ, mais non avant le Christ. Quand se lève-t-on avant le Christ, sinon quand on veut se préférer au Christ ? Et qui veut se préférer au Christ, sinon l’homme qui veut s’élever quand le Christ s’est humilié ? Qu’ils s’humilient donc maintenant, s’ils veulent s’élever où le Christ s’est élevé ? Car c’est ainsi qu’il parle à propos de ceux qui se sont attachés à lui par la foi, et dès lors à propos de nous, si nous croyons en lui avec un cœur pur : « Mon Père, je veux que ceux que vous m’avez donnés, soient avec moi où je suis moi-même[3] ». O don prodigieux ! grâce admirable ! inestimable promesse, mes frères ! Qui donc ne voudrait être avec le Christ, où est le Christ ? Mais il est dans la gloire, et veux-tu donc être dans la gloire avec lui ? Sois humble où il fut humble lui-même. C’est pour cela que la Lumière dit à ses disciples : « Le disciple n’est pas au-dessus du maître, ni le serviteur au-dessus de son seigneur[4] ». Ceux de ses disciples qui voulaient être plus que le maître des serviteurs, qui voulaient être plus que le seigneur, voulaient alors se lever avant la lumière. C’est pour eux que notre psaume a dit : « En vain vous lèverez-vous avant la lumière ». Tels étaient les fils de Zébédée qui, avant de s’humilier comme le Seigneur dans sa passion, choisissaient des places pour s’asseoir l’un à droite, l’autre à gauche. Ils voulaient s’élever avant la lumière, aussi marchaient-ils en vain. Le Seigneur, en les entendant, les rappela dans la voie de l’humilité, et leur dit : « Pouvez-vous boire le calice que je boirai[5] ? » Je suis venu pour m’humilier, voulez-vous être élevés avant moi ? Suivez-moi par où je marche le premier. Car, si vous voulez marcher par une autre voie que la mienne, « c’est en vain que vous vous levez avant la lumière ». Pierre aussi se levait avant la lumière quand il voulait dissuader le Sauveur de souffrir pour nous. Il avait parlé de sa passion qui devait nous sauver, de son humiliation ; car c’est dans son humilité qu’il souffrit ; lorsqu’il

  1. Ps. 120,4
  2. Id. 125,2
  3. Jn. 17,24
  4. Mt. 10,24
  5. Id. 20,21-22