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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/74

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les Apôtres sont des hommes secoués, et quelques-uns répondent qu’ils sont ainsi appelés, parce que le Seigneur leur fit cette injonction : « Si vous sortez d’une ville qui ne vous aura point écoutés, secouez la poussière de vos pieds[1] ». Mais, dit un autre, on aurait dû les appeler fils de ceux qui secouent, et non fils de ceux qui sont secoués. Car en leur disant : Secouez la poussière de vos pieds, le Seigneur nous montre que les Apôtres secouaient plus qu’ils n’étaient secoués. Celui qui a traité ce passage et parlé de la sorte, a mis trop de subtilité à le mettre en contradiction avec le mot de l’Évangile. Pour nous, en examinant, autant que le Seigneur nous en a donné la force, comment l’on peut dire qu’ils sont secoués ces hommes à qui le Seigneur a dit : « Secouez la poussière de vos pieds » ; nous croyons qu’on peut le faire sans absurdité. Bien qu’ils secouassent leurs pieds, ils se secouaient eux-mêmes. Voyez en effet : celui qui secoue, se secoue lui-même, ou bien secoue autre chose ; s’il secoue autre chose, il fait l’action de secouer sans être lui-même secoué ; qu’un autre le secoue, il est secoué sans secouer ; mais qu’il vienne à se secouer lui-même, il secoue, puisqu’il en fait l’action sur lui-même ; il est secoué, puisque lui-même se secoue. Mais qui donc, dira-t-on, a été secoué par les Apôtres ? Eux-mêmes ; puisqu’ils ont secoué la poussière de leurs pieds. Mais ce n’est point eux-mêmes qu’ils ont secoués, c’est la poussière, dira-t-on. C’est là une supercherie, Secouer quelque chose se dit en effet de deux manières : ou de l’objet secoué, ou de ce que l’on en a fait sortir. On dit en effet, secouer la poussière, et secouer un manteau. Voilà un homme qui tient son manteau, qui le secoue, et il en sort une poussière qu’il contenait. Que diras-tu de cette poussière ? qu’on l’a secouée. Que diras-tu du manteau ? qu’on l’a secoué. Si donc l’on désigne par l’expression secoué, et ce que l’on fait sortir d’un manteau en le secouant, et ce manteau d’où on le fait sortir, alors la poussière a été secouée, et les Apôtres ont été secoués. Pourquoi donc les fils des Apôtres ne s’appelleraient-ils pas les fils de ceux qu’on a secoués ?
11. Mais il est un autre sens que je ne dois point passer sous silence. Dieu a permis des passages obscurs, afin qu’ils donnent lieu à plusieurs explications, afin que les hommes en soient plus instruits, puisqu’ils trouvent expliqué en plusieurs manières un passage obscur, qui ne l’eût été que d’une seule, s’il eût été clair. Nous disons que l’on secoue une chose pour en faire sortir ce qui pourrait y être caché. Il y a une différence entre secouer une robe, afin d’en faire sortir la poussière, et secouer un sac pour en faire sortir ce qu’il renferme. Autant que je le puis, j’entends donc par les fils de ceux qui ont été secoués, les Apôtres eux-mêmes, qui sont les fils des Prophètes. Car les Prophètes tenaient renfermés bien des mystères, et ils ont été secoués, afin que tout ce qui était caché dans leurs écrits fût mis au grand jour. Ainsi, par exemple, voilà un Prophète qui a dit : « Le bœuf connaît son maître, l’âne l’étable de son Seigneur, et Israël ne m’a point connu[2] ». Je cite cette parole du Prophète, parce qu’elle me vient maintenant à l’esprit ; il m’en viendrait une autre, que je la citerais également. Qu’un homme, entendant cette parole, arrête sa pensée sur l’âne, sur le bœuf, sur les animaux qu’il a sous les yeux ; le voilà qui touche au-dehors une écorce renfermant quelque mystère, tuais il ne sait ce qu’elle contient. L’âne et le bœuf ont un sens caché. Que dit-on à celui qui se prononcerait d’une manière trop hâtive ? Attends, il y a là quelque mystère, secoue l’enveloppe ; le Prophète s’en est servi pour voiler sa pensée ; et il veut parler de tout autre âne, de tout autre bœuf. En effet, l’âne est ici la figure du peuple de Dieu, de la monture du Seigneur, portant ce Dieu qui le guide, afin qu’il ne s’égare pas en chemin ; et le bœuf est celui dont l’Apôtre a dit : « Tu ne lieras point la bouche au bœuf qui foule le grain ». Dieu se met-il en peine des bœufs[3] ? a dit le même Apôtre. C’est pour nous que l’Écriture parle ainsi. Quiconque, en effet, prêche la parole de Dieu, avertit, effraie, stimule ; c’est là fouler le grain, faire dans l’Église comme le bœuf dans l’aire. Le bœuf venait du peuple juif, d’où sont sortis les Apôtres qui ont prêché l’Évangile : l’âne, du peuple incirconcis, ou des Gentils. Car il est venu pour porter le Seigneur ; et si le Seigneur a voulu s’asseoir sur un âne qui n’avait porté nul autre homme, c’est parce que ni la loi ni les Prophètes n’avaient été envoyés aux Gentils. Donc parce que Notre-

  1. Mt. 10,14
  2. Isa. 1,3
  3. 1 Cor. 9,9-10