Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/88

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leur iniquité. Car tout méchant persécute l’homme de bien, par impuissance de l’amener au mal. Qu’un homme commette le mal, et que son évêque ne l’en reprenne point, c’est le meilleur évêque ; s’il l’en reprend, c’est un évêque méchant. Qu’un homme à qui l’on enlève son bien garde le silence, il est honnête homme ; qu’il parle, qu’il blâme, c’est un méchant homme, quand même il ne revendiquerait pas ce qui lui est pris. Un homme qui réprime un voleur est donc un scélérat, le voleur est honnête homme ! Qu’on chante le refrain : « Mangeons et buvons, car nous mourrons demain[1] » ; refrain que réfute saint Paul : « Ne vous laissez pas séduire, les mauvais entretiens corrompent les bonnes mœurs[2]. Soyez donc sobres, ô justes, et ne péchez point ». La parole sainte retentit on entend cette parole qui proscrit la passion ; mais épris de son intempérance, et haïssant tout ce qui peut contredire cette bien-aimée, l’homme déteste et combat la parole de Dieu. C’est l’avarice que l’on aime, et Dieu que l’on hait. Dieu proscrit l’avarice, il nous défend de rien posséder par avarice. C’est moi que tu dois posséder, nous dit-il, pourquoi veux-tu être possédé par l’avarice ? Ses exigences sont dures, les miennes sont douces ; son fardeau est lourd, le mien est léger ; son joug est pénible et le mien attrayant[3]. Ne te laisse point absorber par l’avarice. L’avarice t’ordonne de passer les mers et tu obéis ; elle t’ordonne d’affronter les vents et les tempêtes, et moi je t’ordonne de donner au pauvre qui est à ta porte quelque peu de ce que tu possèdes, et tu ne fais que lentement une bonne œuvre qui est devant toi, tandis que tu es infatigable pour passer la mer. L’avarice commande et tu obéis ; Dieu commande et tu hais ses préceptes. Quoi encore ? Dès qu’un homme cède à la haine, il cherche à incriminer ceux qui lui prêchent les préceptes du bien ; il se met à soupçonner des crimes chez les serviteurs de Dieu. Ils nous donnent ces préceptes, dit-on, mais ne les pratiquent point eux-mêmes. Qu’ils fassent le mal ou ne le fassent point, on les accuse, on jette le blâme sur le bien qu’ils font, et nos souffrances mêmes donnent lieu à la calomnie. Que pouvons-nous répondre ? Écoutez, non pas moi, mais la parole de Dieu ; c’est lui qui vous parle par toutes sortes de personnes, et c’est à lui que s’attaque votre haine. Soyez d’accord avec votre adversaire pendant que vous êtes en chemin avec lui[4] ; et vous avez pris pour adversaire la parole de Dieu. Ne considérez point si c’est tel ou tel qui vous parle : c’est un méchant peut-être qui vous parle au nom du Seigneur ; mais la parole que Dieu vous adresse par cet homme n’est point mauvaise. Accusez le Seigneur, accusez-le si vous le pouvez.
5. Croiriez-vous, mes frères, que ceux dont il est dit : « Souvent ils m’ont attaquée depuis ma jeunesse », ont eu l’audace d’accuser Dieu lui-même ? Blâme un avare, et à son tour il blâme Dieu qui a fait l’or. Ne sois point avare, lui dit-on, et il répond : Que Dieu ne fasse point d’or. Parce que tu ne saurais mettre un frein à tes œuvres perverses, tu accuseras les œuvres de Dieu qui sont excellentes ? Tu prends à partie Celui qui a créé et formé le monde ? Il n’aurait pas dû créer le soleil, parce que des hommes se traînent devant les tribunaux, pour des fenêtres, des vues de leurs appartements ? Oh ! si nous pouvions réprimer nos vices ! nous verrions que les œuvres de Dieu sont bonnes, que Dieu créateur de toutes choses est bon, que ses œuvres le louent, parce qu’en les considérant on voit qu’elles sont bonnes, dès qu’on les considère avec un esprit de sagesse, un esprit de piété. De toutes parts Dieu est loué dans ses œuvres. Comme ses œuvres chantent ses louanges dans la bouche des trois enfants ! Qu’y a-t-il d’oublié ? Bénédiction des cieux, bénédiction des anges, bénédiction des astres, bénédiction du soleil et de la lune, bénédiction du jour et de la nuit, bénédiction de tout ce qui germe sur la terre, bénédiction de tout ce qui nage dans les mers, bénédiction de tout ce qui voltige dans les airs, bénédiction des montagnes et des collines, bénédiction de la chaleur et du froid, bénédiction de tout ce qu’a fait le Seigneur[5]. Vous le voyez, toutes les œuvres de Dieu le bénissent ; mais avez-vous entendu que Dieu soit béni par l’avarice ou par la luxure ? Tout cela ne bénit point Dieu, parce que Dieu ne l’a point fait. Les hommes le bénissent dans ce même cantique, parce que Dieu a fait l’homme. L’avarice est l’œuvre de l’homme devenu méchant, mais l’homme est l’œuvre de Dieu. Or, que veut le Seigneur ? Détruire en toi ce qui est ton œuvre, sauver ce qui est la sienne.

  1. Isa. 22,13
  2. 1 Cor. 15,32-34
  3. Mt. 11,30
  4. Mt. 5,25
  5. Dan. 3,57-90