Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/145

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reconnaître celle qui lui avait donné la vie du corps. Alors il se préparait à faire une œuvre divine ; aussi semblait-il lie pas connaître la Mère, non de sa divinité, mais de son humanité, et la repoussait-il. Maintenant, il souffre dans son corps, et dans les sentiments d’une humaine affection, il recommande celle dans le sein de laquelle il s’est fait homme. Alors, il connaissait Marie en vertu de sa puissance, puisqu’il l’avait créée ; maintenant, Celui que Marie a mis au monde est attaché à la croix.
2. Nous trouvons ici un sujet d’instruction. Le Sauveur fait lui-même ce qu’il nous enseigne ; précepteur plein de bonté, il apprend à ses disciples, par son exemple, tout le soin que des enfants pieux doivent prendre des auteurs de leurs jours. Le bois auquel se trouvaient cloués ses membres mourants était comme une chaire où notre Maître se faisait entendre et nous donnait ses leçons. C’était à cette source de saine doctrine que l’apôtre Paul avait puisé, quand il disait : « Si quelqu’un n’a pas soin des siens, et surtout de ceux de sa maison, il a renoncé à la foi et il est pire qu’un infidèle [1] ». Y a-t-il des personnes plus proches les unes des autres que les parents ne le sont de leurs enfants, ou les enfants de leurs parents ? Le maître à l’école de qui se forment les saints, nous donnait donc en lui-même l’exemple pour confirmer un de ses plus précieux commandements ; car s’il pourvoyait à l’avenir de Marie en lui donnant un autre fils qui tiendrait sa place, il n’agissait pas comme Dieu à l’égard d’une servante créée et gouvernée par lui, mais comme homme à l’égard d’une Mère qui lui avait donné le jour et qu’il laissait en cette vie. Pourquoi a-t-il agi de la sorte ? Ce qui suit nous l’apprend ; car, parlant de lui-même, l’Évangéliste ajoute : « Et, depuis ce moment, le disciple la reçut chez lui ». D’ordinaire, Jean ne se désigne pas autrement qu’en disant que Jésus l’aimait ; le Sauveur affectionnait tous ses disciples, mais il chérissait davantage encore celui-ci ; il était même si familier avec lui qu’à la Cène il lui permit de s’appuyer sur sa poitrine[2] ; c’était sans doute pour l’aider à imprimer sur l’Évangile qu’il devait prêcher en son nom, le sceau de sa divine excellence.
3. Mais en quel chez lui Jean reçut-il la Mère du Sauveur ? Il était certainement du nombre de ceux qui lui avaient dit : « Voilà que nous avons tout abandonné pour vous suivre », et, comme les autres, il avait entendu cette réponse : Quiconque aura abandonné tout cela à cause de moi, recevra le centuple en cette vie [3]. Ce disciple avait donc reçu le centuple de ce qu’il avait quitté ; c’était assez pour y recevoir la Mère de Celui qui lui en avait fait don. Mais, au moment où le bienheureux Jean avait reçu ce centuple, il faisait partie d’une société où nul ne possédait rien en propre, et où toutes choses étaient mises en commun, suivant ce qui est écrit dans les Actes des Apôtres ; car les disciples de Jésus étaient comme n’ayant rien et possédant tout [4]. Comment donc le disciple et le serviteur a-t-il reçu la Mère de son Maître et Seigneur chez lui, puisque personne parmi les Apôtres ne s’attribuait rien en propre ? Nous lisons un peu plus loin dans le même livre : « Tous ceux qui possédaient des champs ou des maisons les vendaient et apportaient le prix de ce qui était vendu, et ils le déposaient aux pieds des Apôtres, et on le distribuait à chacun selon qu’il en avait besoin [5] ». Ces paroles signifient-elles qu’on le distribua à ce disciple d’après ses besoins, en lui tenant compte de la présence, chez lui, de la bienheureuse Marie, comme si elle était sa mère ? Par conséquent, devons-nous entendre ces mots : « Et à partir de ce moment, le disciple la reçut chez lui », en ce sens qu’il devait prendre soin de tout ce qui serait nécessaire à Marie ? Il la reçut donc chez lui, c’est-à-dire, non dans ses propriétés, puisqu’il n’en possédait aucune en propre, mais dans ses attributions ; car il devait en prendre soin, par suite de l’obligation qu’il avait personnellement acceptée.
4. L’Évangéliste ajoute : « Ensuite Jésus, sachant que tout était consommé, afin que l’Écriture fût accomplie, dit : J’ai soif. Un vase plein de vinaigre était là. Et les soldats lui présentèrent à la bouche une éponge pleine de vinaigre, qu’ils avaient attachée à un bâton d’hysope. Lors donc que Jésus eut pris le vinaigre, il dit : Tout est consommé. Et ayant incliné la tête, il rendit l’esprit ». Qui est-ce qui agit comme il le veut, de la même manière que cet homme a souffert comme il l’a voulu ? Mais cet homme était le

  1. 1 Tim. 5, 8
  2. Jn. 13, 23
  3. Mt. 19, 27, 29
  4. 2 Cor. 6, 10
  5. Act. 4, 32-35