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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/168

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sens de rester ou de demeurer toujours, mais celui d’attendre, parce que la vie, dont l’apôtre Jean est la figure, se réalisera, non pas maintenant, mais seulement lorsque le Christ sera venu. Mais ce que figure l’Apôtre à qui Jésus a dit : « Suis-moi », doit avoir lieu dès maintenant ; s’il n’en est pas ainsi, nous ne parviendrons jamais à ce que nous attendons. Dans cette vie active, plus vivement nous aimons le Christ, plus facilement nous sommes délivrés de nos maux ; mais tels que nous sommes maintenant, il nous aime moins ; aussi nous délivre-t-il de nos maux, afin que nous ne restions pas dans le même état ; mais, dans l’autre vie, il nous aimera davantage, parce qu’il n’y aura rien en nous qui lui déplaise et qu’il doive faire disparaître ; et s’il nous aime ici-bas, ce n’est que pour nous guérir et nous débarrasser de ce qu’il n’y aime pas. En ce lieu, où il ne veut pas que nous restions, il nous affectionne donc moins ; mais il nous affectionnera davantage dans ce séjour où il veut que nous allions, et d’où il ne veut pas que nous sortions jamais. Que Pierre l’aime donc, afin que nous soyons délivrés de notre condition mortelle ; que Jean soit aimé de lui, afin que nous soyons toujours en possession de l’immortalité future.
6. Le motif ci-dessus indiqué nous fait voir pourquoi le Christ a aimé Jean plus que Pierre, mais il ne nous laisse pas supposer pourquoi l’affection de Pierre pour Jésus a été plus vive que celle de Jean. De ce que, dans le siècle futur, où nous régnerons éternellement avec lui, le Christ nous aimera bien plus qu’il ne nous aime dans ce monde dont nous sortirons pour nous unir à lui d’une manière indissoluble dans le ciel, il ne suit nullement que nous l’aimerons moins, parce qu’alors nous serons devenus meilleurs ; car nous ne pouvons devenir tels, qu’à la condition de l’aimer davantage. Comment donc Jean l’affectionnait-il moins vivement que Pierre, s’il était la figure de cette vie où il faut aimer le Christ bien plus qu’ailleurs ? Le voici : Jésus a dit : « Je veux qu’il demeure », c’est-à-dire qu’il attende, « jusqu’à ce que je vienne », parce que nous ne sommes pas encore animés de cet amour qui atteindra ses dernières limites dans le ciel, et que nous attendons le moment où le Sauveur viendra pour l’aimer parfaitement. En effet, le même Apôtre a écrit dans son épître : « Ce que nous serons un jour ne paraît pas encore : nous savons que quand il viendra dans sa gloire, nous serons semblables à a lui, parce que nous le verrons tel qu’il est [1] ». Ce que nous verrons alors, nous l’aimerons davantage. Pour le Seigneur, il sait ce que sera plus tard en nous notre vie, et comme conséquence anticipée de notre prédestination, il nous aime, dès maintenant, davantage, afin de nous conduire par là à la jouissance de cette vie. Comme la miséricorde et la vérité du Seigneur nous enseignent la sagesse [2], nous connaissons notre misère présente, parce que nous en supportons le fardeau ; aussi, aimons-nous plus vivement cette miséricorde divine, que nous voudrions voir nous délivrer de nos maux, et chaque jour nous la demandons mieux et nous en recevons des preuves plus abondantes pour la rémission de nos péchés : cette vie, Pierre plus aimant, mais moins aimé, la représentait en sa personne, parce que le Christ nous porte moins d’affection lorsque nous sommes plongés dans le malheur, qu’il ne nous aimera quand nous serons heureux. Quant à voir la vérité comme nous la verrons plus tard, nous y tenons moins, parce que nous ne savons encore ce que c’est, et que nous ne jouissons pas maintenant de ce bonheur : la vie qui consistera à contempler Dieu a été figurée par Jean. Il aimait moins, et il attendait la venue du Seigneur pour admirer la vérité et l’aimer comme elle le mérite ; mais il était plus aimé, car ce qu’il figurait procure l’éternel bonheur.
7. Que personne, toutefois, ne sépare l’un de l’autre ces deux illustres Apôtres ; car ils étaient tous deux ce que représentait Pierre, et tous deux ils devaient être ce que représentait Jean. Comme figure, l’un suivait le Christ, l’autre demeurait ; et par la foi ils souffraient également des misères de cette malheureuse vie, et ils attendaient de même les biens à venir de l’éternelle béatitude. Mais ce n’est pas d’eux seuls qu’il en est ainsi : il en est de même de la sainte Église, de l’Epouse du Christ ; car elle souffre au milieu de pareilles tentations, elle est réservée à un bonheur semblable. Pierre et Jean ont figuré ces deux vies, celui-ci l’une, celui-là l’autre : en ce monde, pendant le cours de leur existence

  1. Jn. 3, 2
  2. Ps. 24, 10