Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/205

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il n’aurait pas été Maître. Mais il a eu des disciples qui ont suivi ses traces et imité ses exemples. Pendant qu’on lui jetait des pierres, Étienne était agenouillé et disait : « Seigneur, ne leur imputez point ce crime[1] ». Il aimait ses bourreaux, puisqu’il mourait même pour eux. Ecoute aussi l’apôtre Paul « Je me sacrifierai moi-même pour vos âmes[2] ». Il était, en effet, du nombre de ceux pour qui Étienne priait, quand il tombait victime de leurs coups. Voilà la charité parfaite : elle se trouve, dans toute sa perfection, en celui qui aime ses frères au point d’être prêt à tout faire, et même à mourir pour eux. Mais peut-on remarquer en elle ce degré de perfection, aussitôt qu’elle a pris naissance dans une âme ? Pour être à même de devenir parfaite, elle commence par y naître ; puis elle s’alimente ; puis elle se fortifie ; puis, enfin, elle se perfectionne ; et, quand elle est parvenue à ce comble de la perfection, que dit-elle ? « Le Christ est ma vie, et la mort m’est un gain. J’éprouve un ardent désir d’être détaché des liens du corps, et d’être avec Jésus-Christ, ce qui est, sans comparaison, le meilleur ; mais il est « plus avantageux pour vous que je demeure en cette vie[3] ». Paul voulait vivre pour ceux en faveur desquels il était prêt à mourir.


5. Voulez-vous une preuve que c’est bien la charité parfaite que ne viole point, contre laquelle ne pèche pas quiconque est né de Dieu ? La voici. Le Sauveur dit à Pierre« Pierre, m’aimes-tu ? » Celui-ci répondit « Je vous aime ». Jésus ne dit pas : Si tu m’aimes, rends-moi service. Pendant le cours de sa vie mortelle, le Christ eut faim et soif dans les moments où il éprouvait le besoin de boire et de manger, on lui offrait l’hospitalité, et, comme nous le voyons dans l’Évangile, des personnes riches subvenaient à tous ses besoins[4]. Zachée le reçut dans sa maison, et, parce qu’il reçut le médecin, il fut guéri de son mal. De quel mal ? De l’avarice. Il était en effet très riche, et prince des publicains. Voyez comment il fut guéri du défaut d’avarice : « Je donne », dit-il, « la moitié de mes biens aux pauvres, et si j’ai fait tort à quelqu’un en quoi que ce soit, je lui rendrai quatre fois autant[5] ». S’il a conservéla moitié de sa fortune, c’était, non pour en jouir, mais pour payer ses dettes. Il donna donc, ce jour-là, l’hospitalité à son médecin, puisque le Seigneur se trouvait dans l’infirmité de la chair, et que les hommes devaient lui prêter aide et secours, il voulait, par là, leur faire du bien ; car c’était à leur avantage, et non pas au sien, qu’il travaillait. Demandait-il du soulagement aux anges qui le servaient ? Le besoin ne s’en faisait pas davantage sentir à son serviteur Elie, auquel un corbeau apportait de sa part le pain et la viande nécessaires pourtant, afin d’avoir l’occasion de bénir une pieuse veuve, Dieu lui envoie son serviteur, et elle fournit à la subsistance de l’homme que nourrissait en secret le Très-Haut[6]. Cependant, quoique les gens charitables travaillent à leur propre avantage, en subvenant aux besoins des serviteurs de Dieu, à cause de cette promesse de récompense clairement faite par le Sauveur dans l’Évangile : « Celui qui reçoit le prophète comme prophète, recevra la récompense du prophète, et celui qui reçoit le juste, recevra la récompense du juste ; et celui qui donnera à boire à l’un de ces plus petits, seulement un verre d’eau froide, en qualité de mon disciple, en vérité, je vous le dis, il ne perdra point sa récompense[7] ». Quoique ceux qui agissent de la sorte, travaillent à leur propre avantage, il était, néanmoins, impossible d’exercer ainsi la charité à l’égard du Dieu qui allait remonter au ciel. Pierre l’aimait, mais que pouvait-il faire pour lui, en signe de gratitude ? Ecoute, le voici : « Pais mes brebis », c’est-à-dire : Fais pour tes frères ce que j’ai fait pour toi. Je vous ai tous rachetés au prix de mon sang ; n’hésitez pas de mourir pour la confession de la vérité, afin que les autres vous imitent.


6. Mais c’est là, avons-nous dit, mes frères, la charité parfaite : celui qui est né de Dieu, la possède. Que votre charité me prête toute son attention : comprenez bien ce que je dis. L’homme baptisé a reçu le sacrement qui l’a fait naître : il possède ce sacrement ; sacrement grand, divin, saint, ineffable. Remarque-le : il est si grand qu’il crée un homme nouveau en lui remettant tous ses péchés. Toutefois, examinons attentivement notre cœur ; voyons si ce qui s’est fait sur notre corps s’est fait parfaitement dans notre âme ! 98La

  1. Act. 7, 59
  2. 2 Cor, 12, 15
  3. Phil. 1, 21-24
  4. Lc. 8, 5
  5. Id. 19, 6-8
  6. 1 R. 17, 4-9
  7. Mt, 10, 41-42