Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/206

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charité y existe-t-elle ? Alors, disons : Je suis né de Dieu ; si, au contraire, elle n’y existe pas, nous en portons la marque imprimée sur nous, c’est vrai ; mais nous avons quitté le bon chemin, nous errons loin de lui. Ayons la charité : autrement, ne nous disons pas enfants de Dieu. Mais, dira-t-on, j’ai reçu le sacrement. Ecoute l’Apôtre : « Quand je pénétrerais tous les mystères, et que j’aurais toute la foi possible, jusqu’à transporter les montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien.[1] ».


7. Si vous vous en souvenez, nous vous l’avons dit en commençant l’explication de cette Epitre, rien ne nous y est si vivement recommandé que la charité. Quoique l’Apôtre semble y parler de chose et d’autre, il en revient toujours là, et il veut rapporter à la charité toutes ses paroles. Voyons si, même en cet endroit, il agit de la sorte. Ecoute bien« Quiconque est né de Dieu ne commet point le péché ». Nous cherchons à savoir quel péché. Car s’il était ici question de toute espèce de péché, ce passage contredirait ces autres paroles : « Si nous disons que nous n’avons pas de péché, nous nous séduisons ; et la vérité n’est pas en nous ». Que Jean nous dise donc quel est ce péché : qu’il nous instruise ; je ne veux pas dire témérairement que ce péché est la violation du précepte de la charité ; il a dit plus haut : « Celui qui hait son frère est dans les ténèbres, et il marche dans les ténèbres, et il ne sait où il va, parce que les ténèbres l’ont aveuglé[2] ». Mais peut-être s’est-il expliqué plus loin et a-t-il prononcé le nom de la charité. Remarquez-le : toute cette circonlocution aboutit finalement à ce résultat : « Quiconque est né de Dieu ne pèche point, parce que la semence de Dieu demeure en lui ». La semence de Dieu, ou, en d’autres termes, la parole divine ; aussi l’Apôtre dit-il : « Je vous ai engendrés par l’Evangile [3]. Il ne peut commettre le péché, parce qu’il est né de Dieu ». Que Jean nous l’explique : voyons en quel sens l’enfant de Dieu ne peut pécher. « En cela, on reconnaît les enfants de Dieu et les enfants du démon. Quiconque n’est pas juste, n’est point lié de Dieu, non plus que celui qui n’aime pas son frère ». Nous voyons maintenant, à n’en pas douter, pourquoi il dit : « Non plus que celui qui n’aimepas son frère ». La charité est donc la seule marque distinctive entre les enfants de Dieu et ceux du démon. Que tous fassent sur eux le signe de la croix ; que tous répondent Ainsi soit-il ; que tous chantent : Alleluia ; que tous reçoivent le baptême, qu’ils entrent dans les églises, qu’ils bâtissent des basiliques. Rien, si ce n’est la charité, ne distingue les fils de Dieu des fils du démon. Ceux qui ont la charité, sont nés de Dieu ; ceux qui ne l’ont pas, ne sont pas ses enfants. Précieuse marque, distinction inestimable. Possède ce que tu voudras, si tu n’as pas la charité, le reste ne te sert de rien. Que le reste te fasse défaut, mais que, du moins, tu aies la charité, et tu auras accompli la loi. « Car celui qui aime son prochain, accomplit la loi », dit l’Apôtre, « et l’amour est la plénitude de la loi[4] ». Je considère la charité comme étant cette perle précieuse que l’Ecriture nous montre recherchée par un marchand : « Cet homme, ayant trouvé une perle d’un grand prix, vend tout ce qu’il possède et l’achète[5]». Cette perle d’un grand prix, c’est bien la charité, sans laquelle rien de ce que tu possèdes ne peut t’être de quelque utilité, et qui te suffirait à elle seule, lors même que tu ne possèderais rien autre chose. Aujourd’hui, tu ne vois Dieu que par la foi ; plus tard, tu le verras réellement. Si nous l’aimons, lors même que nous ne pouvons encore le contempler, que sera-ce lorsque nous le verrons de nos yeux ? Mais à quoi devons-nous consacrer tous nos soins ? A aimer nos frères. Tu peux me dire : Je n’ai pas vu Dieu ; peux-tu me dire : Je ne vois pas l’homme ? Aime ton prochain ; car si tu aimes le prochain que tu aperçois, tu verras aussi Dieu, parce que tu verras la charité même ; et que Dieu habite en ton cœur.


8. « Celui qui n’est pas juste, n’est point né de Dieu, non plus que celui qui n’aime point son frère. Car ce qui nous a été annoncé », vois comment il le prouve : « Car ce qui nous a été annoncé et ce que nous avons entendu dès le commencement, c’est que nous nous aimions les uns les autres ». Il nous montre que tel est le motif, de ses paroles ; et quiconque agit contre ce commandement, tombe dans le péché énorme où tombent ceux qui ne sont pas nés de Dieu. « Et que nous n’imitions pas Caïn, qui étaitpoussé

  1. 1 Cor. 13, 12
  2. 1 Jn. 2, 11
  3. 1 Cor. 4, 15
  4. Rom. 13, 8, 10
  5. Mt. 13, 46