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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/208

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en son âme la même idée à l’égard de l’homicide ? Il ne porte pas encore la main sur son frère pour le faire mourir, mais il est déjà regardé par Dieu comme un homicide. La victime est encore vivante, et le bourreau est déjà jugé. « Quiconque hait son frère est homicide. Et vous savez que nul homicide n’a la vie éternelle résidante en lui ».


11. « Nous avons connu l’amour de Dieu envers nous » ; l’Apôtre parle de la charité parfaite, de cette charité dont nous vous avons parlé. « Nous avons connu l’amour de Dieu envers nous, parce qu’il a donné sa vie pour nous, et nous devons aussi donner notre vie pour nos frères ». Voilà l’explication de ces paroles : « Pierre, m’aimes-tu ? Pais mes brebis ». Jésus voulait que Pierre fît paître ses brebis, en ce sens qu’il donnât sa vie pour elles ; j’en trouve la preuve dans ces paroles que le Sauveur adressa immédiatement après à son Apôtre : « Lorsque tu étais plus jeune, tu te ceignais toi-même, et tu allais où tu voulais ; mais quand, dans ta vieillesse, tu étendras tes mains, un autre te ceindra et te mènera où tu ne voudras pas. Or », remarque l’Évangéliste, « il dit cela pour indiquer par quelle mort il devait glorifier Dieu[1] ». En disant à Pierre : « Pais mes brebis », il voulait lui apprendre à mourir pour elles.


12. Où commence la charité, mes frères ? Réfléchissez un peu ; vous savez déjà où elle puise sa perfection ; quelle est sa fin et son caractère ? Le Sauveur lui-même vous l’a appris dans l’Évangile : « Personne ne peut témoigner un plus grand amour qu’en donnant sa vie pour ses amis[2]». Dans l’Évangile, il nous apprend donc en quoi consiste la perfection de la charité, et il nous en donne la plus haute idée dans ce passage. Mais vous vous adressez à vous-mêmes cette question ; vous vous dites : Quand pourrons-nous avoir cette charité ? Ne va pas si vite à perdre confiance. en toi ; elle a peut-être déjà pris naissance en ton cœur ; seulement, elle n’est pas arrivée encore au comble de la perfection nourris-la pour qu’elle ne périsse pas. Mais, me diras-tu, comment savoir si je l’ai ? Nous avons appris comment elle se perfectionne ; apprenons où elle commence. Jean continue en ces termes : « Un homme qui a les biens de ce monde et qui, voyant. son frère dans la détresse, lui ferme son cœur et ses entrailles, comment aurait-il en soi l’amour de Dieu ? » Voilà où commence la charité. Si tu n’es pas encore capable de mourir pour le prochain, sois déjà au moins disposé à partager ton bien avec lui. Que la charité émeuve tes entrailles ; et, en voyant ton frère dans le besoin, aide-le, non par ostentation, mais par l’effet du plus pur sentiment de compassion miséricordieuse. Car si tu n’es pas assez généreux pour donner au prochain ton superflu, le seras-tu assez pour sacrifier ta vie en sa faveur ? Tu as, par devers toi, de l’argent que les voleurs peuvent te prendre ; s’ils ne te le prennent pas, si, pendant la vie, il ne te quitte point, la mort t’en séparera. Que faire alors ? Ton frère a faim, il se trouve dans l’embarras ; peut-être est-il arrêté, pressé par un créancier ; il ne possède rien, et toi tu es riche ; c’est ton frère ; vous avez été achetés en même temps, le prix de votre rançon est le même ; vous avez été rachetés au prix du sang du Christ. Vois si tu as pitié de ce frère, quand tu es riche des biens du monde. Que m’importe, me diras-tu ? Irai-je donner ma fortune pour le préserver d’embarras ? Si ton cœur te répond de la sorte, l’amour du Père ne se trouve pas en toi, et si l’amour du Père ne se trouve pas en toi, tu n’es pas né de Dieu. Comment alors te glorifier d’être chrétien ? Tu en as le nom, mais tu n’en mènes pas la conduite ; que si tes œuvres sont d’accord avec ton nom, on aura beau t’appeler païen, tu montreras par ta manière d’agir que tu es chrétien. Mais si tes mœurs ne dénotent pas en toi un disciple du Christ, lors même que tout le monde t’appellerait chrétien, à quoi te servirait d’en porter le nom sans l’être réellement ? « Un homme qui a les biens de ce monde et qui, voyant son frère dans la détresse, lui ferme son cœur et ses entrailles, comment aurait-il en soi l’amour de « Dieu ? » L’Apôtre ajoute : « Mes petits enfants, n’aimons pas seulement de parole et de langue, mais par les œuvres et en vérité ».


13. Je le pense, mes frères, je vous ai fait suffisamment connaître le grand secret, l’indispensable mystère de la charité. Ce qu’elle est, toute l’Écriture nous le dit ; mais je ne sais si en aucun endroit il en est plus question que dans cette Epître. Nous vous prions, nous vous conjurons dans le Seigneur de

  1. Jn. 21, 15-19
  2. Id. 15, 13