Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/207

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par le malin esprit et qui tua son frère. Et pourquoi le tua-t-il ? Parce que « ses œuvres étaient mauvaises, et que celles de son frère étaient bonnes ». Où se trouve l’envie, l’amour fraternel ne peut donc se trouver en même temps. Que votre charité y fasse attention. Quiconque est rongé par l’envie, n’aime pas. Le péché du démon se trouve en lui, parce que l’envie du démon a causé la chute de l’homme. Il était tombé le premier, et il conçut de l’envie en voyant l’homme debout ; s’il a voulu faire choir Adam, c’était non pour se relever lui-même, mais pour ne pas se trouver seul dans l’abîme. De ce fait qu’il a occasionné la chute du premier homme, vous devez conclure que l’envie ne se rencontre pas dans la charité. En faisant l’éloge de la charité, Paul a dit positivement : « La charité n’est pas envieuse[1] ». La charité faisait défaut en Caïn, et si elle avait manqué à son frère, le sacrifice d’Abel n’eût pas été agréé de Dieu. Ils lui offrirent, l’un des fruits de la terre, l’autre des agneaux de son troupeau. A votre avis, mes frères, pourquoi Dieu méprisa-t-il les fruits de la terre et accepta-t-il les agneaux du troupeau ? C’est que, sans faire attention à la nature des présents, il considéra les dispositions intérieures de l’un et de l’autre, et il reposa ses regards sur le sacrifice de celui qui le lui offrait avec amour, tandis qu’il détourna les yeux du sacrifice de celui qui ressentait de la jalousie en le lui offrant. Ce qui faisait le prix des actions d’Abel, c’était donc la charité seule, comme ce qui rendait mauvaises les actions de Caïn, c’était l’envie qu’il éprouvait à l’égard de son frère. Ce ne fut pas assez pour lui de haïr son frère et de jalouser ses bonnes œuvres ; comme il n’avait pas le courage de l’imiter, il le fit mourir. Par là, il devint évident que Caïn était un enfant du démon ; et qu’Abel était un juste de Dieu. Par là, mes frères, les hommes se distinguent donc les uns des autres. Ne faites pas attention à ce que dit un homme, mais à ce qu’il fait et à ce qu’il aime. Dès lors qu’il agit mal à l’égard du prochain, il montre ce qu’il a dans le cœur. C’est la tentation qui fait connaître l’homme.


9. « Ne vous étonnez pas, mes frères, si le monde vous déteste ». Faut-il vous dire encore ce qu’est le monde ? Ce n’est ni le ciel, ni la terre, ni ces œuvres visibles sortiesdes mains de Dieu : ce sont les amateurs du monde. En répétant sans cesse la même chose, je deviens ennuyeux pour plusieurs ; et, pourtant, ce n’est pas inutilement que je me répète, car, demandez à quelques-uns ce. que j’ai dit, ils ne vous répondront pas. Il me faut donc appuyer sur ce point, afin que mes paroles se gravent dans le cœur de ceux qui m’écoutent. Qu’est-ce que le monde ? Si vous prenez ce mot en mauvaise part, on entend parle monde tous ceux qui l’aiment : considéré à son meilleur point de vue, il signifie le ciel, la terre et toutes les créatures de Dieu qu’ils renferment ; c’est dans ce sens qu’il est dit : « Et le monde a été fait par lui[2] ». Ce mot désigne encore tous les habitants de la terre ; Jean lui-même l’a employé en ce sens : « Et lui-même est la victime de propitiation pour nos péchés, et non-seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux de tout le monde[3] ». Sous ce vocable il range tous les fidèles répandus dans l’univers. Quant au monde, pris dans l’acception défavorable du mot, ce n’est autre chose que les amateurs du monde. Ceux qui aiment le monde ne peuvent aimer le prochain.


10. « Si le monde nous déteste, nous savons ». Que savons-nous ? « Que nous avons passé de « la mort à la vie ». Pourquoi le savons-nous ? « Parce que nous aimons nos frères ». Que personne ne questionne son voisin ; que chacun de nous rentre en lui-même ; et s’il trouve en son cœur la charité fraternelle, qu’il soit tranquille, parce qu’il a passé de la mort à la vie. Il est déjà placé à la droite ; si maintenant sa gloire est cachée, qu’il n’y fasse pas attention ; lorsqu’aura lieu l’avènement du Seigneur, alors il apparaîtra dans la gloire. Il n’est pas mort, mais il en est encore au temps de l’hiver ; sa racine est vivace, mais ses branches semblent desséchées ; au dedans se trouvent et se cachent la sève, les feuilles et les fruits, en attendant la saison d’été. « Nous savons » donc « que nous avons passé de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères: Celui qui n’aime point, demeure dans la mort ». N’allez pas vous imaginer, mes frères, que détester ou ne pas aimer soit peu de alose ; écoutez ce qui suit : « Quiconque hait son frère, est homicide ». S’il en est parmi-nous un seul qui attache peu d’importance à la haine du prochain, pourra-t-ilavoir

  1. 1 Cor. 13, 1
  2. Jn. 1, 10
  3. 1 Jn. 2, 2