Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/240

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10. « Si quelqu’un dit : J’aime Dieu ». Quel Dieu ? Pourquoi l’aimons-nous ? « Parce qu’il a nous a aimés le premier », et qu’il nous a fait la grâce de l’aimer. Il a aimé des hommes impies pour les rendre pieux, des hommes injustes pour les justifier, des hommes malades, afin de les guérir. « Aimons-le » donc, « puisqu’il nous a aimés le premier ». Interroge un chacun ; qu’on te dise si l’on aime Dieu ; on crie, on confesse : « Je l’aime », il le sait. Il y a un autre moyen de le savoir. a Si quelqu’un dit : J’aime Dieu, et qu’il « haïsse son frère, c’est un menteur ». Comment prouver que c’est un menteur ? Ecoute : « Comment, en effet, celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, peut-il aimer Dieu qu’il ne voit pas ? » Eh quoi ! aime-t-on Dieu par cela même qu’on aime son frère ? Il est nécessaire d’aimer Dieu, comme aussi la charité elle-même. Peut-on aimer son frère, sans aimer en même temps la charité ? Il faut aimer la charité. Eh quoi ! aime-t-on Dieu, par cela même qu’on aime la charité ? Évidemment, oui. En aimant la charité, on aime Dieu. Aurais-tu déjà oublié ce que tu as dit il n’y a qu’un instant : « Dieu est amour[1] ? » Puisque Dieu est charité, quiconque aime la charité, aime Dieu par là même. Aime donc ton frère, et sois tranquille. Tu ne peux dire : J’aime mon frère, mais je n’aime pas Dieu. De même que tu mens, si tu dis : J’aime Dieu, quand tu n’aimes pas ton frère ; de même tu te trompes en disant : J’aime mon frère, si tu penses ne pas aimer Dieu. Pour aimer ton frère, il est indispensable pour toi d’aimer la charité elle-même ; or, « Dieu est charité » ; il faut donc que quiconque aime son frère, aime aussi Dieu. Si tu n’aimes pas ton frère que tu vois, comment pourrais-tu aimer Dieu que tu ne vois pas ? Pourquoi ne voit-on pas Dieu ? C’est qu’on n’a pas la charité. On ne voit pas Dieu, parce qu’on n’a pas la charité ; on n’a pas la charité, parce qu’on n’aime pas son frère : par conséquent, on ne voit pas Dieu, parce qu’on n’a pas la charité. Car, si l’on a la charité, on voit Dieu, puisque « Dieu est charité ». La charité éclaircit de plus en plus la vue de l’âme, et lui permet de contempler cette immuable substance dont la présence fera ses délices, quand elle en jouira éternellement avec les anges ; mais qu’ellese hâte maintenant, afin de pouvoir se réjouir bientôt dans la patrie. Qu’elle ne donne point ses affections à ce lieu d’exil, qu’elle n’aime point le chemin où elle marche ; que tout lui soit insupportable, à l’exception de celui qui l’appelle, jusqu’au moment où nous entrerons en possession de lui, et où nous lui dirons ce que disait autrefois le Psalmiste « Vous retranchez tous ceux qui vous deviennent infidèles ». Et qui sont ceux qui deviennent infidèles à Dieu ? Ceux qui s’éloignent de lui et qui aiment le monde. Qu’en est-il de toi ? Le Prophète continue, en disant : « Pour moi, mon bien est d’approcher du Seigneur[2] ». M’attacher gratuitement à Dieu, voilà tout mon bien. Si tu demandes au Prophète : Pourquoi t’attacher à Dieu ? et qu’il te réponde : Afin de recevoir quelques dons, ne lui diras-tu pas : Que te donnerait-il ? Il est le créateur du ciel et de la terre ; quel don t’accordera-t-il ? Il t’appartient lui-même ; trouve mieux, il te le donnera.


11. « Car, celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, comment peut-il aimer Dieu qu’il ne voit pas ? Et c’est de Dieu même que nous avons reçu ce commandement : « Que celui qui aime Dieu, aime aussi son frère ». Tu disais avec emphase : « J’aime Dieu », et tu détestes ton frère ! Homicide, comment peux-tu aimer Dieu ? N’as-tu pas entendu ces paroles précitées dans l’épître de Jean : « Quiconque hait son frère, est un homicide ? – Je n’aime pas mon frère, mais j’aime Dieu de tout mon cœur.— Si tu détestes ton frère, tu n’aimes pas du tout Dieu. Je le prouve par un autre passage du même livre. Jean lui-même a dit : « Dieu nous a donné un commandement, c’est de nous aimer les uns les autres[3] ». Peux-tu dire que tu aimes Dieu, dès lors que tu foules aux pieds son commandement ? Quel est l’homme qui tiendrait ce langage : J’aime l’empereur, mais j’abhorre ses lois ? L’empereur reconnaît qu’on l’aime, lorsqu’on observe ses lois dans toutes les provinces de son empire. Quelle est la loi du souverain Maître ? « Je vous donne un commandement « nouveau, c’est que vous vous aimiez les uns les autres[4] ». Tu dis que tu aimes le Christ ; observe donc son commandement, chéris ton frère. Mais si tu ne le chéris pas, comment peux-tu aimer le Christ, puisque tu

  1. Jn. 4, 8, 16
  2. Ps. 72, 27-28
  3. 1 Jn. 3, 15, 23
  4. Jn. 13, 34