Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/248

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puis il appelle ses héritiers, et leur dit : Je vous en conjure, faites cela. Il se fait en quelque sorte violence pour empêcher son âme de partir, avant qu’on lui ait promis d’accomplir ses suprêmes volontés. A peine a-t-il prononcé ces paroles, qu’il rend le dernier soupir et qu’on emporte son cadavre pour le mettre au tombeau. Quel souvenir les héritiers de cet homme conservent-ils de ses dernières paroles ? Le même que si on leur disait : N’exécutez pas ses recommandations ? Que répondraient-ils à pareille suggestion ? Comment ? Je ne tiendrais aucun compte des dernières paroles de mon père mourant ? Je n’accomplirais pas les paroles après lesquelles il ne m’a plus rien dit, après lesquelles il est mort ? De toutes ses autres paroles, je pourrais faire un autre cas ; mais celles-ci me tiennent au cœur, parce qu’elles sont les dernières qu’il m’ait adressées ; depuis lors, je ne l’ai plus vu, je ne l’ai plus entendu. Mes frères, j’en appelle à des cœurs chrétiens ; si les recommandations d’un père mourant sont, à ce point douces, agréables et précieuses pour des héritiers ordinaires, vous, héritiers du Christ, quel cas vous devez tenir des dernières paroles qu’il a prononcées, avant d’aller, je ne dirai pas, en terre, mais au ciel ! Pour l’homme qui a vécu et qui est mort, son âme est transportée en une autre demeure, et l’on dépose son corps en terre ; que ses paroles s’accomplissent ou ne s’accomplissent pas, il ne s’en occupe nullement : il a autre chose à faire ou autre chose à souffrir : ou bien, il se réjouit dans le sein d’Abraham, ou bien, plongé dans le feu éternel, il désire une goutte d’eau pour se rafraîchir[1] : quant à son cadavre, il gît inanimé dans le tombeau et ne sait si l’on tient compte des dernières paroles qu’il a dites avant de mourir. Quel profit espèrent retirer de leur infidélité les hommes qui n’exécutent pas les dernières paroles de celui qui demeure dans le ciel et voit du haut de son trône si on les méprisé ou si on les accomplit, de celui qui a dit : « Saul, Saul, pourquoi me persécuter[2] ? » de celui, enfin, qui se réserve, pour l’avenir, de porter son jugement sur les souffrances endurées par ses membres ?


10. Qu’avons-nous fait ? nous disent ceshommes : nous avons souffert persécution, sans persécuter personne. Malheureux ! vous avez fait souffrir les autres : d’abord, parce que vous avez divisé l’Eglise. Vos paroles ont fait plus de mal qu’une épée. La servante de Sara, Agar, s’est montrée hautaine, et, en raison de son orgueil, elle a été punie par sa maîtresse. Cette punition était moins un châtiment qu’un moyen de la ramener au respect de son devoir. Aussi, quand elle eut quitté Sara, que lui dit l’ange ? « Retourne auprès de ta maîtresse[3] ». Ame charnelle, ne ressembles-tu pas à cette servante insoumise, et si, par hasard, tu as enduré quelques contrariétés pour ton plus grand bien, pourquoi t’irriter ? retourne à ta maîtresse, fais la paix avec elle. Voilà qu’on apporte les Evangiles nous y lisons jusqu’où s’étend l’Eglise : on nous contredit, et l’on nous crie : Traditeurs. Traditeurs de quoi ? Le Christ nous recommande son Église, et tu ne le crois pas ;.et, moi, je te croirais, quand tu maudis mes parents ? Et tu veux que j’ajoute foi à ta parole au sujet des traditeurs ? Crois d’abord toi-même au Christ. Y a-t-il rien de plus juste ? Le Christ est Dieu ; tu n’es qu’un homme ; à qui des deux faut-il croire de préférence ? Le Christ a répandu son Église par toute la terre ; si je te parlais de moi-même, je te dirais Méprise mes paroles ; mais c’est l’Evangile qui te parle ; prends-y garde. Que te dit l’Evangile ? « Il fallait que le Christ souffrît et ressuscitât d’entré les morts, et qu’on prêchât, en son nom, la pénitence et la remisa lion des péchés[4] ». L’Eglise est là où les péchés sont remis. Comment cela ? Car il lui a été dit : « Je te donnerai les clefs du royaume des cieux : tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans le ciel, et tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans le ciel[5] ». Où se trouve répandue la rémission des péchés ? « Parmi toutes les nations, en commençant par Jérusalem[6] ». Crois donc au Christ. Mais parce que tu comprends que, si tu crois au Christ, tu n’auras plus rien à dire des traditeurs, tu aimes mieux que je te croie quand tu dénigres mes pères, que de croire toi-même le Christ dévoilant l’avenir.

  1. Lc. 16, 22, et suiv
  2. Act. 9, 4
  3. Gen. 16, 4-9
  4. Lc. 24, 46, 47
  5. Mt. 16, 19
  6. Lc. 24, 47