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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/373

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comme son aîné ». Cette égalité de supplices était naturelle, car sa foi égalait celle de son frère ; pourquoi ses souffrances n’eussent-elles pas été égales, puisqu’elles devaient suppléer à l’infériorité de l’âge et l’élever au même rang que son frère ? « Après cela », dit l’Écriture, « on couvrait d’outrages le troisième ». J’admire la justesse de cette expression employée par l’Écriture pour désigner les embûches du démon ; car, lorsque la violence ne lui réussit pas, il sait recourir aux outrages et à la dérision. On tourmenta le quatrième, et pendant qu’on lui brisait les membres, il lance ce cri de confiance et de foi : « C’est du ciel que j’ai reçu ces membres ». Ô foi sublime du martyr ; ce qu’il perd sur la terre, il est assuré de le retrouver dans le ciel ! Pourquoi, dès lors, se troublerait-il du brisement de ses membres, puisqu’il y trouve un titre nouveau de bonheur au ciel ? ce que la terre lui ravit, le ciel le lai rendra pour l’éternité. Dans le cinquième frère nous devons une égale admiration à ses paroles et à son courage ; car, au moment où il était en proie aux plus horribles souffrances, il n’oublie pas de confesser sa foi et dit au tyran : « Vous avez l’empire sur les hommes, quoique vous ne soyez vous-même que cendre et poussière ; toutefois gardez-vous de croire que votre peuple soit abandonné de Dieu ; attendez, et vous verrez notre Dieu déployer sa puissance et vous frapper rudement, vous et votre race ». Ô admirable sécurité de la foi parfaite ! elle ne cède ni n’est ébranlée devant les persécuteurs et les bourreaux. On le prive de ses membres, mais son courage reste supérieur à toutes les tortures. Il subit le joug de la force, mais il domine par sa foi ; les souffrances l’accablent, mais il compte encore sur les représailles divines. Ainsi donc, autant qu’il est en lui, il est martyrisé, et il menace du martyre ; il est immolé, et il annonce la vengeance, sa foi s’élève bien au-dessus de la puissance de son bourreau ; il souffre la persécution et il juge son persécuteur. Le sixième, sur le point d’aller triompher au ciel, adresse ces mots au tyran : « Ne vous trompez pas vous-même ; nous souffrons, parce que nous avons péché contre notre Dieu, et la conduite du Seigneur à notre égard est très-digne d’admiration ». Ce que nous devons admirer dans les martyrs, ce n’est pas seulement leur foi et leur courage, mais surtout la religieuse mansuétude de leur esprit et leur profonde humilité au sein des plus glorieux triomphes.

5. Venons maintenant à l’admirable et héroïque constance du plus jeune de ces frères. Il souffrit le dernier, mais sa foi brilla d’un tel éclat que, après les luttes victorieuses de ses frères, il put encore remporter une nouvelle victoire. C’est justice ; car, placé au dernier rang par l’âge, il s’éleva au-dessus des autres par les souffrances et par l’exemple. En effet, son héroïsme n’est-il pas d’autant plus grand que son enfance lui en permettait moins, et sa victoire ne paraît-elle pas d’autant plus belle, qu’on le croyait lui-même moins capable de combattre ? D’un autre côté, le persécuteur sut joindre à la violence toutes les ressources et les séductions de la ruse, de telle sorte que ses caresses devinrent plus dangereuses que les tourments ; car si la jeunesse est parfois courageuse, la prudence et la sagesse lui font toujours défaut. Le bourreau a donc recours à l’arme perfide de l’indulgence et de la pitié, et pour mieux persuader le fils, il fait appel à l’affection et au dévouement de la pieuse mère. Il savait toute la faiblesse de la piété maternelle dans les souffrances, et souvent il arrive qu’une mère ne puisse supporter dans la personne de son enfant ce qu’elle aurait bravé dans sa propre personne ; car le cœur qui aime n’est pas toujours aussi fort que le membre qui souffre. Le cruel tyran s’attaque donc au cœur du fils dans l’affection de la mère, il essaie de vaincre le fils dans la personne de la mère, et la mère dans la personne du fils ; raffinement de cruauté qui, n’attaquant qu’un ennemi, se propose d’en vaincre deux, soit celui qu’il veut séparer du chœur glorieux de ses frères, soit la mère elle-même, à qui il n’inspire tant de sympathie pour la vie du plus jeune de ses enfants, que pour lui faire perdre le mérite acquis par elle dans la mort des six premiers.