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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/398

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5. Voici donc le langage que nous adresse Notre-Seigneur, en même temps notre Sauveur : O hommes ! j’ai fait l’homme droit, mais lui s’est perverti. Vous vous êtes éloignés de moi pour mourir en vous-mêmes. Pour moi, je viens chercher ce qui a péri. Vous éloigner de moi, dit-il, ce serait perdre la vie ; « et la vie, c’était la lumière des hommes[1] ». Voilà ce que vous avez abandonné, quand vous avez péri en Adam. « La vie était « la lumière des hommes mi. Quelle vie ? « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était Dieu, et le Verbe était en Dieu[2] ». La vie existait, tandis que vous étiez couchés dans votre mort. Verbe, je n’avais pas de quoi mourir ; homme, tu n’avais pas de quoi vivre. (Puisque Notre-Seigneur Jésus-Christ l’a bien voulu, je lui emprunte son langage ; car s’il a pris le mien, à combien plus forte raison puis-je prendre le sien !) Notre-Seigneur Jésus-Christ nous dit en effet, quoique sans parler, mais parle langage des choses mêmes Je n’avais rien par où la mort pût venir, et toi, homme, rien par où tu pusses vivre. J’ai donc pris en toi de quoi mourir pour toi ; prends en moi, à ton tour, de quoi vivre avec moi. Faisons un échange ; je te donne, donne-moi. Je reçois de toi la mort, reçois de moi la vie. Sors de ton assoupissement, vois ce que je puis donner, ce que je puis recevoir. Au sommet de la gloire dans le ciel, j’ai reçu de toi l’humilité sur la terre. Quoique ton Seigneur, j’ai reçu de toi la forme de l’esclave ; je suis ta santé, et j’ai reçu de toi des blessures ; je suis ta vie, et j’ai reçu de toi la mort. Verbe, je suis devenu chair, afin de pouvoir mourir. En mon Père, je n’ai aucune chair ; j’ai pris dans ta nature, afin de te donner. (Car la Vierge Marie était de même nature que nous, c’est en elle que le Christ a pris une chair qui est la nôtre, ou la nature humaine.) J’ai donc pris en toi une chair, afin de mourir pour toi. Reçois de moi l’esprit qui vivifie, afin de vivre avec moi. Enfin, je suis mort en ce que je tiens de toi, vis en ce que tu as de moi.

6. Donc, mes frères, quand vous entendez : Il est né du Saint-Esprit et de la vierge Marie, il a souffert, a été conspué, a reçu des soufflets ; quand on vous dit : Voilà ce qu’a souffert le Christ, gardez-vous de croire que ce « Verbe qui était en Dieu au commencement », ait pu souffrir ainsi dans sa nature et dans sa substance. Mais, pouvons-nous dire que le Verbe de Dieu, le Dieu Fils unique du Père, n’a point souffert pour nous ? Il a souffert, mais dans son âme et dans sa chair passible ; il n’a pris la forme de l’esclave, qu’afin de pouvoir souffrir en son humanité. Car il avait une âme et une chair, puisqu’il venait délivrer l’homme tout entier, non plus en perdant la vie, mais en donnant sa vie. Prenons une comparaison qui vous fera mieux comprendre mes paroles. Ainsi, par exemple, quand le martyr saint Étienne, ou Phocas[3], ou tout autre, souffrit, mourut, fut enseveli, ce fut leur chair qui mourut seule, qui fut ensevelie, tandis que, pour l’âme, il n’y eut ni mort ni sépulture ; et cependant nous disons très bien : Étienne, ou Phocas, ou tout autre, est mort pour le nom du Christ ; de même, quand le Fils unique de Dieu souffrit, mourut, fut enseveli, ce fut à sa chair seule que l’on donna la mort et la sépulture, bien que l’âme, et à plus forte raison la Divinité, n’ait pu mourir. De là vient que nous disons, en toute sûreté, que le Fils unique de Dieu, ce Dieu engendré de Dieu, est mort pour nous, et a été enseveli. De là vient que Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui est l’infaillible vérité, a pu dire très-justement et sans erreur. « Ainsi Dieu a tellement aimé le monde, qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait « la vie éternelle[4] ». Et l’Apôtre a dit aussi de Dieu le Père, qu’« Il n’a point épargné son Fils unique, mais l’a livré pour nous tous[5] ». Or, voulez-vous savoir ce qu’est le Christ ? Ne voyez point seulement cette chair qui a été couchée dans le sépulcre ; ne voyez point seulement l’âme dont il a dit. « Mon âme est triste jusqu’à la mort ». Ne voyez point seulement le Verbe, ce Verbe qui est Dieu, mais considérez que le Christ tout entier est Verbe, et âme, et chair.

7. Or, n’ôtez rien à l’âme du Christ. Les hérétiques apollinaristes ont dit que cette âme n’avait point de pensée, c’est-à-dire l’intelligence,

  1. Jn. 1, 4
  2. Id. 1
  3. Il est difficile de préciser de quel Phocas veut parler saint Augustin, de celui d’Antioche ou des deux de Sinope. Les hagiographes belges en ont disserté, avec leur soin habituel, au14 juillet. Toutefois les monuments qu’ils ont cités n’indiquent point qu’aucun de ces trois martyrs ait été connu ou ait reçu un culte en Afrique. Néanmoins, les nautoniers d’Afrique ont pu faire connaître Phocas,o thalasotaumaturgos, qui fut un jardinier de Sinope.
  4. Jn. 3, 16
  5. Rom. 8, 32