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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/409

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donc, ou les justes et les saints, tressaillent dans le Seigneur, et que les coupables tressaillent dans les biens de cette vie. Le monde finissant, la joie des injustes finira aussi, et comme Dieu demeure, la joie des justes demeurera aussi. Si donc nous appartenons à Israël, si nous voulons être Israël, ne mettons point notre joie dans ce qui a été fait, mais bien dans celui qui a tout fait. Que notre Dieu soit notre espérance. Celui qui a tout fait est meilleur que tout. Qu’est-ce qu’Israël ? Celui qui voit Dieu[1]. Comment sommes-nous Israël, si nous ne le voyons pas encore ? Il y a sans doute une vision pour cette vie, et il y aura une autre vision pour l’autre vie. Ici-bas nous voyons par la foi, mais dans la vie future nous verrons en réalité. Croire, pour nous, c’est voir ; aimer, c’est voir. Que voyons-nous ? Dieu. Dieu lui-même, où est-il ? Interroge l’apôtre saint Jean. « Dieu est charité[2] », nous dit-il. Quiconque a la charité, pouvons-nous l’envoyer bien loin pour voir Dieu ? Qu’il rentre dans sa conscience, et là il trouvera Dieu. Mais si la charité n’est point en lui, Dieu n’y est pas non plus. Quiconque veut voir Dieu assis dans le ciel, doit avoir la charité, et Dieu sera en lui.

3. Mais « que les fils de Sion, à leur tour, tressaillent dans leur roi[3] ». Il est bon de connaître quels sont ces fils. Sion signifie lieu d’observation ; or, un lieu d’observation est un lieu élevé et dégagé, d’où l’on peut voir au loin ce qui arrive. Si donc, par la vertu de la foi, nous dégageons notre vie de la terre, pour l’élever bien au-dessus des vices des hommes, l’on pourra en toute vérité nous appeler Fils de Sion. Quant au roi de Sion, c’est celui-là sans doute qui s’écrie : « Pour moi, j’ai été établi par lui roi dans Sion sur sa montagne sainte[4] ». Or Sion, qui est aussi Jérusalem, c’est la véritable Sion, la véritable Jérusalem, non celle que la guerre a fait tomber, et qui est pour nous une figure, mais la Jérusalem du ciel, « cette Jérusalem qui est notre mère[5] » ; elle qui nous a engendrés, elle qui nous a nourris, elle qui est pour nous en partie étrangère en cette vie, mais qui pour la plus grande partie demeure déjà dans le ciel. Dans cette partie qui demeure dans le ciel, elle est la félicité des anges, et en cette partie, qui achève son pèlerinage en ce monde, elle est l’espoir des justes. De l’une, il est dit : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux » ; de l’autre, il est dit encore : « Et paix sur la terre aux hommes de « bonne volonté[6] ». Que ceux-là donc qui gémissent en cette vie, qui soupirent après la patrie, s’élancent, non des pieds du corps, mais des affections du cœur. Au lieu de chercher des navires, qu’ils prennent les ailes de la charité. Quelles sont ces deux ailes de la charité ? L’amour de Dieu et l’amour du prochain. Car nous sommes en exil, dit l’Apôtre « Tant que nous sommes dans ce corps, nous sommes exilés loin du Seigneur[7] ». Mais il nous est venu de la patrie des lettres qui nous annoncent notre retour. Ce sont ces lettres qu’on nous lit, quand l’on récite devant nous les saintes Écritures, Bienheureux ceux qui sont dans cette patrie ! Nul souci ne les inquiète, nul péché, soit péché propre, soit péché d’autrui, ne les afflige ; toute leur occupation est de louer Dieu. Ils ne labourent point, ils ne sèment point. Ce sont là des œuvres nécessaires, et il n’y a là-haut nulle nécessité. Ils ne volent point et ne sont point volés. Ce sont là des œuvres d’iniquité, et il n’y a là-haut nulle iniquité. Ils ne doivent ni nourrir celui qui a faim, ni vêtir, celui qui est nu, ni recevoir l’étranger, ni ensevelir les morts. Ce sont là des œuvres de miséricorde, et il n’y a là nulle misère que l’on puisse prendre en pitié.

4. O vrai bonheur ! croyons-nous que nous puissions en jouir ? Ah ! soupirons, et en soupirant, gémissons d’être ce que nous sommes et d’être où nous sommes. Où sommes-nous ? Dans un monde frivole et qui passera. Qui sommes-nous ? Des mortels, jetés à terre, dans l’abjection, et, comme l’a dit un saint : « de la terre et de la poussière[8] ». Mais il est tout-puissant, celui qui nous a promis l’immortalité, l’éternité. À nous considérer, qui sommes-nous ? Mais à considérer Dieu, c’est le Tout-Puissant. De l’homme ne pourra-t-il faire un ange, celui qui, de rien, a fait un homme ? Est-il vrai que Dieu puisse dédaigner l’homme, quand il envoie son Fils unique mourir pour lui ? Considérons les marques de son amour, de ses promesses, qui nous ont valu des arrhes si considérables. Nous avons

  1. Saint Jérôme, Quaest. Hebr. ad. Genes. 32, 28, nous semble dire avec plus de raison.Prince, ou celui qui prévaut, avec Dieu, ou fort contre Dieu.
  2. 1Jn. 4, 8,16
  3. Psa. 149, 2
  4. Id. 2, 6
  5. Gal. 4, 26
  6. Luc. 2, 14
  7. 2Co. 5, 6
  8. Gen. 18, 27