Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/423

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d’immortalité, alors on dira à la mort : « Où donc, ô mort, est ta victoire ? où donc est ton aiguillon ?[1] » Nous verrons, nous chanterons, nous serons en permanence. Il n’y aura là nul besoin, l’on ne cherchera aucun secours. Tu n’y auras nul mendiant à nourrir, nul étranger à recevoir dans ta maison. Tu n’y rencontreras nul homme ayant soif pour lui donner à boire, nul homme nu à revêtir, nul malade à visiter, nul litige à mettre en accord, nul mort à ensevelir. Tous sont rassasiés du Pain de la justice, abreuvés au calice de la sagesse ; tous revêtus de l’immortalité, tous vivent dans leur patrie éternelle. Pour eux, la santé c’est l’éternité, santé éternelle, harmonie éternelle. Nul procès, nul juge, nul arbitrage, nulle recherche de vengeance, nulle maladie, nulle mort.

9. Nous pouvons bien te dire ce qu’on ne verra point dans l’éternité. Mais qui dira ce que nous y verrons ? « Ce que l’œil n’a point vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme ». C’est donc avec raison que l’Apôtre nous dit : « Les souffrances de la vie présente n’ont aucune proportion avec la gloire qui doit éclater en nous[2] ». Quelles que soient tes souffrances, ô chrétien, sache bien qu’elles ne sont rien en comparaison de ce que tu dois recevoir. Voilà ce que la foi nous enseigne avec certitude, et ce qui ne doit point sortir de ton cœur. Tu ne saurais comprendre et voir ce que tu seras ; quel sera donc l’état que ne saurait comprendre celui qui doit en jouir ? Nous serons ce que nous serons ; mais nous ne saurions comprendre ce que nous serons. Cet état surpasse toutes nos infirmités, il surpasse toute notre pensée, il surpasse toute notre intelligence, et néanmoins nous en jouirons. « Mes bien-aimés », dit saint Jean, « nous sommes fils de Dieu » ; oui, par la foi, par l’adoption, par le gage qu’il nous en donne. Nous avons reçu l’Esprit-Saint pour gage, mes frères. Comment pourrait faillir celui qui donne un tel gage ? « Nous sommes fils de Dieu », dit l’Apôtre, « et ce que nous devons être n’apparaît point encore. Nous savons que, quand il apparaîtra, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est ». Cela n’apparaît point encore, dit-il, mais il ne dit point ce qui apparaîtra. « Ce que nous devons être n’apparaît point encore ». Pourrait-il dire : Voilà ce que nous serons ; c’est ainsi que nous serons ? Mais tout ce qu’il pourrait dire, à qui le dirait-il ? Je n’oserais dire : Qui le dira ? mais bien : À qui en parler ? Peut-être l’aurait-il pu dire, puisqu’il était ce disciple qui avait reposé sur la poitrine du Christ, et qui, à la dernière cène, avait bu cette sagesse dont il nous jetait la surabondance dans ces paroles : « Au commencement était le Verbe[3] ». Voici donc ce qu’il nous dit : « Nous savons que, quand apparaîtra ce que nous devons être, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est ». À qui semblables ? A celui-là sans doute dont nous sommes les fils. « Mes bien-aimés », dit-il, « nous sommes les fils de Dieu, et ce que nous devons être n’apparaît point encore. Mais nous savons que quand cela paraîtra, nous serons semblables à celui » dont nous sommes les enfants, « puisque nous le verrons tel qu’il est[4] ». Et maintenant, si tu veux être semblable à lui, si tu veux savoir à qui tu seras semblable, envisage Dieu, si tu le peux. Tu ne saurais encore, tu ne peux donc savoir à qui tu seras semblable, et dès lors tu ne peux savoir combien tu lui ressembleras. Ne pas savoir ce qu’il est en lui-même, c’est ne pas savoir non plus ce que tu seras toi-même.

10. C’est dans ces méditations, mes frères, qu’il nous faut attendre notre joie éternelle, qu’il nous faut demander la force dans les difficultés et les épreuves de cette vie. Ne vous imaginez point, en effet, mes bien-aimés, que nos prières vous sont nécessaires sans que nous ayons besoin des vôtres. Les prières nous sont réciproquement nécessaires, parce que des prières mutuelles, sont allumées au feu de la, charité, et c’est là, sur l’autel de la piété, un sacrifice d’agréable odeur devant Dieu. Car si les Apôtres recommandaient que l’on priât pour eux, combien plus nous devons le faire, nous qui leur sommes inférieurs, mais qui voulons suivre leurs traces, sans savoir néanmoins, sans oser dire à quel point nous y parvenons. Ces hommes illustres voulaient donc que l’on priât pour eux dans l’Église, et ils disaient : « Nous sommes votre gloire, de même que vous êtes la nôtre pour le jour de Notre-Seigneur Jésus-Christ[5] ».

  1. 1Co. 2, 8
  2. Rom. 8, 18
  3. 1Jn. 3, 2,
  4. 1Jn. 3, 2
  5. 2Co. 1, 14