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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/433

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Nul n’est plus nécessaire que lui. J’appelais nécessaires, la santé, un ami. Pour la santé, te voilà pécheur, apostat du Christ. Mais ton amour de la santé te fait manquer la véritable santé. Pour ton ami, te voilà pécheur, et pour ne point l’offenser tu renies le Christ. Hélas ! malheur à nous ! Il suffit souvent de rougir pour le renier. Il n’y a là ni violence de la persécution, ni spoliation de l’exécuteur, ni menace de bourreau ; tu crains seulement de déplaire à un ami, et tu renies ton Dieu. Je vois ce que t’a enlevé un ami ; montre-moi ce qu’il pourra te donner. Oui, que pourra-t-il te donner ? Ses amitiés qui seront une source de péché pour toi, qui t’envelopperont et feront de toi un ennemi de Dieu. Celui-là ne serait point ton ami, si tu savais l’aimer. Mais parce que tu es son ennemi, tu prends pour un ami ton propre ennemi. Comment cet homme peut-il être ton ami ? Parce que tu aimes l’iniquité. « Or, aimer l’iniquité, c’est haïr son âme[1] ». Toutefois on ne renie point le Christ, pour plaire à un ami impie et pervers, on ne le renie point toujours, mais cet impie blasphème le Christ, cet impie l’accuse, et un fidèle n’ose le défendre, il en rougit, il l’abandonne ; au lieu de le prêcher, il se tait. Le blasphème se répand, la louange se tait. Combien de crimes l’on commet, sous prétexte du nécessaire, pour la nourriture, pour le vêtement, pour la santé, pour un ami, et tout ce que l’on recherche ainsi n’en périt que plus sûrement. Mais si, au contraire, tu méprises les biens du temps, Dieu te donnera les biens éternels. Méprise la santé, et tu auras l’immortalité ; méprise la mort, et tu auras la vie ; méprise les honneurs, tu auras une couronne ; méprise l’amitié d’un homme, tu auras l’amitié de Dieu. Et là même où tu jouiras de l’amitié de Dieu, tu ne seras pas sans amitié du prochain. Tu auras pour amis ceux dont nous lisions tout à l’heure les actes et les confessions.

7. Nous venons d’entendre les actes virils des hommes, leurs vaillantes confessions. Nous venons d’entendre ces femmes, oublieuses de leur sexe, et s’attachant au Christ, non plus comme des femmes. Or, là-haut nous formerons avec ces bienheureux cette amitié pure de toute convoitise charnelle, et nous n’aurons de commun avec nos amis que les jouissances de la sagesse. Voilà ce que nous perdrons, si nous aimons les biens d’ici-bas, jusqu’à renier le Christ. C’est là que la mort du prochain n’aura rien d’effrayant pour nous. Il n’y a nul deuil à redouter, dès lorsqu’on jouit de la vie éternelle, et le nécessaire ne sera plus dans cette parole « Ayant la nourriture et le vêtement, nous devons être satisfaits ». Notre vêtement sera l’immortalité, notre nourriture la charité ; la vie sera sans fin, nous n’y ferons plus de ces œuvres que l’on appelle bonnes œuvres, et toutefois nous ne saurions y parvenir qu’en les faisant ici-bas. On ne te dira plus : « Partage ton pain avec celui qui a faim[2] », puisqu’il n’y aura nul affamé. On ne te dira point : Donne l’hospitalité, puisqu’il n’y aura point d’étranger. On ne te dira point : Délivre l’opprimé, puisqu’il n’y aura nul oppresseur. On ne te dira point : Accommode ces différends, puisqu’il y aura une paix inaltérable. Voyez, mes frères, combien on souffre ici-bas pour acquérir cette paix, que nous posséderons où nous ne pourrons plus périr. Tu veux la santé ? Méprise-la, et tu la trouveras. Tu renies le Christ parce que tu crains d’offusquer l’amitié des hommes ? Confesse le Christ, et tu auras pour amies, et la cité des anges, et la cité des patriarches, et la cité des prophètes, et la cité des apôtres, et la cité des martyrs, et la cité de tous les fidèles qui auront fait le bien. Car c’est elle que le Christ a fondée pour l’éternité[3].

  1. Psa. 10, 6
  2. Psa. 47, 9
  3. Isa. 58, 7