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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/432

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lui sont renfermés tous les trésors de la sagesse et de la science ?[1] » Tu considères ce que tu promets, parce que tu ne saurais voir ce que tu veux nous ravir. Pour moi, c’est par la foi que je vois ce que tu veux m’enlever, et toi par les yeux de la chair ce que tu veux donner. Ce que découvre l’œil du cœur est bien préférable à ce que voit l’œil de la chair ; car ce que l’on voit est temporel, ce que l’on ne voit pas est éternel. Dès lors je méprise tes dons, dit l’âme fidèle, qui sont temporels, qui sont superflus, qui sont périssables, qui sont changeants, qui sont pleins de périls, pleins de tentations. Nul ne les possède à son gré, on les perd quand on ne le voudrait point. Nous méprisons le prometteur, en voici un autre, c’est le persécuteur. On repousse la séduction, voici que vient la violence : on méprise le serpent, il se change en lion. Tu ne veux pas, dit-il, être par moi comblé de richesses ? Eh bien ! si tu ne renonces au Christ, je t’enlèverai ce que tu possèdes. Ce n’est là sévir que contre mon superflu. « Tu agis en fourbe, comme le rasoir tranchant[2] » ; tu rases les cheveux, mais sans entamer la peau. Enlève-moi tous ces biens ; oui, puisque tu as vu qu’ils me servent à faire des largesses aux pauvres, à recevoir l’étranger, à suivre l’avis de Paul : « Ordonnez aux riches de ce monde », a-t-il dit à Timothée, « ordonnez-leur de n’être point orgueilleux, de ne mettre point leur confiance dans les richesses incertaines, mais dans le Dieu vivant qui nous donne avec abondance ce qui est nécessaire à la vie ; d’être bienfaisants, riches en bonnes œuvres, de donner de bon cœur, de faire part de leurs biens, de se faire un trésor et un fondement solide pour l’avenir, afin d’embrasser la véritable vie[3] ». Voilà des œuvres que je ne ferai plus, dès que tu m’enlèves mes biens. En serai-je amoindri devant Dieu, pour vouloir sans pouvoir ? Serai-je à ce point sourd à la parole des anges : « Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté[4] » ? Enlève donc mon superflu. Nous n’avons rien apporté sur la terre, et nous n’en pouvons rien emporter. « Ayant de quoi nous nourrir et nous vêtir, nous devons nous en contenter[5] ».

5. Mais, dit le persécuteur, j’enlèverai la nourriture et le vêtement. Voilà le combat qui commence. L’ennemi sévit avec plus de violence. Il n’y a plus de superflu, nous voici au nécessaire. « Ne vous éloignez pas de moi, parce que la tribulation est proche[6] ». Rien n’est plus proche de notre âme que notre chair. C’est dans la chair que se font sentir et la faim, et la soif, et la chaleur. C’est là que je veux te voir, ô courageux martyr ! noble témoin de Dieu ! Vois ! me dit-il, vois ! « Qui nous séparera de l’amour du Christ ? A quoi bon tes menaces, de m’enlever la nourriture et le vêtement ? Sera-ce la tribulation, l’angoisse, la faim, la nudité ?[7] » Tourne ailleurs tes menaces. Je t’enlèverai ton ami, j’égorgerai sous tes yeux ceux qui te sont les plus chers, je massacrerai ton épouse et tes enfants ! Tuer, tuer, dis-tu ? Qu’ils ne renoncent pas au Christ, et tu ne les tueras pas. Comment, tu ne saurais m’effrayer pour moi-même, et tu m’effraieras pour les miens ? Si les miens ne renoncent pas, tu ne saurais les tuer ; s’ils renoncent, tu ne tueras que des étrangers. Que le persécuteur insiste, et que dans sa fureur il s’écrie : Si tu n’as nul souci des tiens, c’est toi que je priverai de cette lumière. De cette lumière ? Mais de la lumière éternelle ? De quelle lumière pourras-tu me priver ? De celle qui m’est commune avec toi ? Elle n’est pas grande, celle dont tu jouis. Mais, pour cette lumière, je ne veux point renoncer à la lumière. Car, « il était la lumière véritable[8] ». Je sais encore à qui je dois dire : « En vous est la source de la vie, et c’est dans votre lumière que nous verrons la lumière[9] ». Ôte-moi cette vie, ôte-moi cette lumière, j’aurai une autre vie, j’aurai une autre lumière. J’aurai une vie que tu ne pourras tuer en moi, j’aurai une lumière que, non-seulement toi, mais aucune obscurité ne pourra me dérober. Le martyr a triomphé, et pourrions-nous rencontrer quelque part un plus noble combat ? Sans le menacer de la mort, le persécuteur en veut à son salut, il le laboure de ses ongles, le déchire dans les tourments, il l’expose aux flammes, à la fureur des bêtes ; et c’est lui qui est vaincu. Pourquoi est-il vaincu ? « Parce que nous pouvons tout surmonter en celui qui nous a aimés[10] ».

6. Donc, mes frères, ne renonçons au Christ ni pour notre superflu, ni pour notre nécessaire.

  1. Col. 2, 3
  2. Psa. 51, 4
  3. 1Ti. 6, 17-19
  4. Luc. 2, 14
  5. 1Ti. 6, 8
  6. Psa. 21, 11-12
  7. Rom. 8, 35
  8. Jn. 1, 9
  9. Psa. 35, 10
  10. Rom. 8, 37