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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/440

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bouche, et notre langue d’allégresse[1] », que sera-ce quand nous nous retrouverons dans ces lieux où nous n’aurons plus aucune crainte ? L’Apôtre l’a dit : « Nous jouissons dans l’espérance[2] ». Notre joie ici-bas est donc dans l’espérance, et non dans la réalité. « Or, l’espérance que l’on voit n’est déjà plus l’espérance ; comment espérer ce que l’on voit ? Si donc nous espérons ce qui est invisible pour nous, nous l’attendons par la patience[3] ». Or, si des compagnons de voyage se réjouissent quand ils sont en chemin, quelle ne sera point leur joie dans la patrie ? Telle est la voie sur laquelle ont combattu les martyrs, et en combattant ils marchaient, et en marchant ils n’hésitaient point. Aimer, en effet, c’est marcher. Or, ce n’est point avec des pas, mais avec l’amour que l’on va vers Dieu. Notre voie veut donc des marcheurs[4]. Mais il y a trois sortes d’hommes que voit le Seigneur : l’homme qui s’arrête, l’homme qui rebrousse chemin, et l’homme qui s’égare. Avec le secours de Dieu, puisse notre voyage être affranchi, délivré de ces trois maux ! Et toutefois, quand nous marchons, l’un va plus lentement, l’autre plus vite ; tous deux marchent néanmoins. Il faut donc stimuler ceux qui s’arrêtent, rappeler ceux qui retournent, ramener au bon chemin ceux qui s’égarent, exhorter les retardataires, imiter ceux qui précipitent la marche. Ne faire aucun progrès, c’est s’arrêter en chemin. Abandonner une bonne résolution pour revenir à ce qu’on avait délaissé, s’appelle rebrousser chemin. Abandonner la foi, c’est errer. Occupons-nous de ceux qui ralentissent leur marche, en comparaison des plus empressés, mais qui marchent néanmoins.

2. Quel est l’homme qui ne marche point ? Celui qui s’est cru sage, qui a dit : Il me suffit d’être comme je suis ; qui n’écoute point cette parole : « J’oublie ce qui est en arrière, pour m’étendre à ce qui est devant « moi, pour atteindre ce but auquel je suis « appelé par Dieu en Jésus-Christ[5] ». L’Apôtre dit qu’il court ; il dit qu’il cherche. Il ne s’arrête point et ne regarde pas en arrière, lui qui enseignait la voie, qui la suivait, qui la montrait. Pour nous faire imiter sa vitesse, il nous dit : « Soyez mes imitateurs, comme je le suis du Christ ». Nous croyons donc, mes frères, marcher avec vous dans la voie ; si nous sommes attardés, devancez-nous. Sans aucune jalousie, nous cherchons quelqu’un à suivre. Si vous trouvez rapide notre course, courez avec nous. Il est un point que tous nous voulons atteindre, soit que nous marchions vite, soit que nous marchions lentement. L’Apôtre nous l’indique : « Il est un point », dit-il, « c’est que, oubliant ce qui est en arrière, et m’étendant à ce qui est devant moi, je me propose d’atteindre la palme à laquelle Dieu m’appelle en Jésus-Christ Notre-Seigneur ». L’ordre de ces paroles est celui-ci : « Je ne poursuis qu’un seul but », Or, pour parler ainsi, qu’avait-il dit auparavant ? « Mes frères, je ne me flatte point d’être arrivé[6] ». Voilà l’homme qui ne s’arrête pas en chemin, qui ne s’imagine pas être arrivé. Le voilà qui ne veut pas d’un long pèlerinage ; le voilà qui ne s’arrête pas en chemin et qui se réjouira dans la patrie : « Pour moi », dit-il ; qui moi ? « moi qui ai travaillé plus que les autres » ; et toutefois, dire : « J’ai travaillé plus que les autres », ce n’est point dire : « Je ne me crois pas arrivé au but ». J’aime qu’il dise : « Pour moi », quand il faut s’humilier, et non s’élever. « Pour moi », dit-il, « autant que j’en puis juger, je ne pense pas avoir atteint le but[7] ». Voilà sa parole. Et quand il dit : « J’ai travaillé plus que les autres », il ajoute : « Non pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi[8] ». Est-ce que la grâce n’a pas atteint le but ? Il a raison de dire ici : « pour moi ». Car ne pas atteindre le but, c’est l’effet de notre faiblesse, et l’atteindre c’est l’effet de la grâce divine, et non de la faiblesse humaine. Qui donc nous montrera la voie ? Qui nous instruira ? Qui pourra convenablement nous convaincre de cette vérité, qui est une vérité indubitable, qu’il n’y a en nous rien qui nous soit propre, sinon le péché ? Voilà ce que doit reconnaître la piété, ce que l’infirmité doit accuser en elle-même, ce que la charité cherche à guérir. « Non que j’aie atteint mon but, ou que je sois parfait[9] ». Et alors il ajoute : « Mes frères, je ne

  1. Psa. 125, 2
  2. Rom. 12, 12
  3. Id. 8, 21,25
  4. On trouve la même sentence,Cod. Bibl. Palat. théol. 19, parmi les sermons inconnus ad Fratres in Bremo, sermon 19, que les bénédictins de Saint-Maur n’ont pas édités. Ce sermon-ci a donc été connu de l’imposteur qui a rassemblé tous les inconnus.
  5. Phi. 3, 13-14
  6. 2Co. 4, 6
  7. Phi. 3, 13
  8. 1Co. 15, 10
  9. Phi. 3, 12