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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/441

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crois pas que j’aie moi-même atteint le but », et quand il nous exhorte à courir et à étendre notre cœur « à ce qui est en avant, nous qui sommes parfaits, a-t-il ajouté, soyons de ce sentiment[1] ». Plus haut il avait dit : « Non que j’aie atteint le but ou que je sois parfait » ; et le voilà qui ajoute : « Nous qui sommes parfaits, soyons de ce sentiment ». Et tout à l’heure, tu voyais de l’imperfection dans un si grand Apôtre, et tu vois maintenant un si grand nombre d’hommes parfaits que tu dis : « Nous qui sommes parfaits, soyons de ce sentiment ». Il y a donc perfection et perfection.

3. Il y a le parfait voyageur, qui n’est point le parfait arrivant : Le parfait voyageur s’avance bien, marche bien, suit le bon chemin ; mais il est voyageur et n’est pas encore au but. Et cela est évident, puisqu’il marche, puisqu’il est en – chemin, qu’il se dirige sur quelque point, et qu’il veut atteindre un but. L’Apôtre non plus, n’avait pas atteint le but où il s’efforçait d’arriver. Il exhorte les parfaits, afin qu’ils sachent qu’ils ne sont point complètement parfaits, qu’ils connaissent leur imperfection. La perfection, pour un voyageur, est de savoir qu’il n’est point arrivé au but qu’il poursuit. Il sait en effet et le chemin qu’il a fait, et celui qui lui reste à faire. Sachons donc bien que nous ne sommes point parfaits, quelle que soit notre perfection, afin de ne point demeurer imparfaits. Que dirons-nous, mes frères ? Le martyr Quadratus[2] n’était-il point parfait ? Quoi de plus parfait que Quadratus ou le carré ? Ses côtés sont égaux, sa forme est partout la même, et sur quelque face qu’on puisse le poser, il se tient debout et ne tombe point. O nom magnifique, qui désigne une figure et présage l’avenir. Il s’appelait déjà Quadratus avant d’être couronné. Alors n’était pas encore venue l’épreuve qui devait montrer cette quadrature, et toutefois ce nom qui lui est donné était, même avant la création du monde, le signe de sa prédestination, et pour être ainsi appelé, il devait souffrir, afin de le justifier ; et néanmoins il marchait, et néanmoins il était encore en voyage, et tant qu’il était dans ce corps mortel, il y avait à craindre, ou qu’il ne demeurât en chemin, ou qu’il ne retournât en arrière, ou qu’il ne sortît de la voie. Maintenant, voilà qu’il a couru, qu’il est au bout de sa route, que son pied est demeuré ferme, et qu’il a trouvé place dans la construction de cette arche du Seigneur, qui dut être, en figure, construite de bois carrés : Maintenant il n’a plus aucune épreuve à redouter. Il a entendu l’appel de Dieu, et Dieu a entendu sa prière, il a suivi son Sauveur, qu’il porte maintenant en lui-même[3]. Il a méprisé les séductions du monde, vaincu ses menaces, échappé à ses violences. Elle est grande, mes frères, la gloire des martyrs, c’est la première dans l’Église. Toutes les autres, quel qu’en soit l’éclat, ne viennent qu’après. Ce n’est pas en effet sans raison qu’il a été dit à quelques-uns : « Vous n’avez pas encore résisté jusqu’au sang, dans la lutte contre le péché[4] ; comment soutenir, comment supporter les violences du monde, si l’on n’en méprise pas les séductions ?

4. Le même Apôtre nous dit : « Je parle humainement, à cause de la faiblesse de votre chair. Comme vous avez fait servir vos membres à l’impureté pour l’iniquité, de même, faites-les servir maintenant à la justice pour votre sanctification[5] ». C’est là sans doute un noble but que l’on nous présente. Que chacun se mesure sur ces paroles de l’Apôtre. Que nul ne se flatte, mais que chacun se pèse et se dise la vérité. Que veut-il entendre de moi ? Qu’il se le dise lui-même. Tout mon but est de vous mettre sous les yeux un miroir où chacun se puisse considérer. Car je ne suis point ce brillant du miroir qui réfléchit à chacun l’image de sa face. Et en parlant de face, je veux dire votre face intérieure. Je puis l’aller trouver par l’oreille, mais je ne saurais la voir. C’est donc un miroir que je propose. Que chacun se considère et renonce à soi-même. Prenez pour miroir les paroles de l’Apôtre, que je viens de citer. « Je parle humainement à cause de la faiblesse de votre chair. Comme vous avez fait servir vos membres à l’immondice pour l’iniquité, ainsi, faites-les servir maintenant

  1. Phi. 3, 15
  2. S. Quadrati memoria, voilà ce qu’on lit dans God. Henschénius, Acta Sanctorum, tom. 6, 26 mai, pag.369, après Usuard, Adon, Notker, et les modernes. Voici ce qu’on lit au martyrologe romain :In Africa S. Quadrati martyris, in cujus solemnitate S. Augustinus sermonen habuit. Baronius ajoute : Il est fait mention de ce sermon dans l’Ind. de Possidius : et puisse-t-il être mis au jour : « Le vœu du grand historien est accompli.
  3. On connaît les surnoms dérivés du grec,\ip Theophores, Christophores.
  4. Heb. 12, 9
  5. Rom. 6, 19