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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/462

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voyant la paix dont ils jouissent u. J’ai vu ; dit-il, des pécheurs qui n’adorent pas Dieu, qui blasphèment Dieu, qui lui lancent l’insulte ; je les ai vus au comble de la paix, au comble de la félicité, et il m’a paru qu’un Dieu qui donne le bonheur à ceux qui le blasphèment n’est point juste dans ses jugements. À cette vue, c’est-à-dire à la vue du bonheur des méchants, le Prophète nous dit que ses pieds ont chancelé, au point que Dieu ne lui paraissait point juste. Mais ensuite, parce qu’il a connu, selon qu’il est dit dans le psaume : « Je me suis imposé la tâche de connaître », et qu’il ajoute : « Tel est le labeur qui s’impose à moi » ; c’est-à-dire la cause du bonheur des méchants « est un labeur qui s’impose à moi ; jusqu’à ce que j’entre dans le sanctuaire de Dieu et que je comprenne quelle sera leur fin[1] » ; c’est-à-dire que si les méchants jouissent aujourd’hui d’une félicité passagère, c’est qu’une peine éternelle les attend au dernier jour. Cette connaissance, une fois acquise, a donné au Prophète un cœur droit, et dès lors il s’est mis à louer Dieu en toutes choses, et dans les perplexités de l’homme juste, et dans la félicité du méchant, parce qu’il voit qu’au dernier jour Dieu rendra à chacun ce qui sera juste, bien qu’il accorde une félicité temporelle à quelques-uns, auxquels est réservée la damnation éternelle au dernier jour ; bien qu’il mette aujourd’hui à l’épreuve du malheur ceux qu’il se réserve de combler du bonheur éternel ; car les rôles doivent changer, comme il arriva pour ce riche « qui a donnait tous les jours de magnifiques repas[2] », et pour ce pauvre couvert d’ulcères, couché à la porte du riche et désirant se rassasier des miettes qui tombaient de la table du riche. À la mort de l’un et de l’autre, le premier subit son châtiment dans l’enfer, et le second se reposa au sein d’Abraham. Or, comme cela paraissait insupportable au riche, et qu’il désirait que le doigt de Lazare fît tomber sur lui une goutte d’eau, lui dont Lazare enviait les miettes qui tombaient de sa table, qui envie à son tour une goutte d’eau tombant du doigt de Lazare, entendit de la bouche d’Abraham cette sentence de la justice de Dieu : « Mon fils, souvenez-vous que vous avez reçu les biens pendant la vie, et Lazare les maux ; or, maintenant le repos est pour lui, et pour vous le châtiment[3] ». C’est donc sur le dernier jour qu’il jette son regard, en entrant dans le sanctuaire de Dieu, cet homme à qui Dieu ne paraissait pas juste, parce qu’il s’irritait contre les justes, à la vue de la paix dont ils jouissent ; il reconnaît que les jugements de Dieu sont droits et justes, et ce qui existe même aujourd’hui, mais couvert d’un voile, deviendra manifeste au dernier jugement ; et alors, en face de cette règle de la justice de Dieu, qui redresse les cœurs tortueux, son cœur se redressa de sa dépravation naturelle, et il s’écria : « Combien est bon le Seigneur d’Israël, pour les hommes au cœur droit ! » Aujourd’hui que mon cœur est droit, je comprends que Dieu est bon ; auparavant, il ne me paraissait point juste, parce que mes pieds chancelaient. « Je me suis indigné contre les pécheurs, en voyant la paix dont ils jouissent ».

3. Si donc le Seigneur te parait bon, même quand il donne la félicité aux méchants, ce qui soulevait autrefois tes murmures contre lui, alors ton cœur est droit, et il te convient de le louer : « C’est aux cœurs droits qu’il appartient de le bénir ». Mais si tu es dépravé, la louange ne va point dans ta bouche. Pourquoi n’y va-t-elle point ? Cette louange que tu donnes à Dieu ne sera point persévérante. Car tu bénis Dieu seulement quand tu es heureux ; tu blasphèmes Dieu dès qu’il t’arrive un malheur. Car Dieu te plaît quand il t’envoie la félicité, il te déplaît s’il te châtie. Ton cœur n’est donc point droit, et tu ne saurais chanter cette parole d’un autre psaume : « Je bénirai le Seigneur en tout temps, sa louange sera toujours en ma bouche[4] ». Comment le bénir « toujours », si tu le bénis dans la félicité, et non dans l’adversité ? Car ce que l’on appelle adversité pour toi, est un bien, si tu comprends que c’est un père qui te redresse. C’est l’enfant insensé qui aime le maître, alors qu’il en est flatté, qui le déteste quand il en est corrigé ; mais l’enfant vraiment intelligent comprend que c’est la bonté du maître qui le porte à corriger comme à flatter. On flatte un enfant, pour qu’il ne se trouve point en défaut ; on le châtie, de peur qu’il ne se perde. Un homme donc ayant un cœur semblable, c’est-à-dire un cœur droit, de telle sorte que Dieu ne lui

  1. Psa. 72, 16-17
  2. Luc. 16, 19
  3. Luc. 16, 25
  4. Psa. 33, 2