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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/465

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maison était en ruine, son or perdu, mais son cœur était plein. Dieu lui-même lui tenait lieu de tout ce qu’il lui avait donné. « Le Seigneur l’a donné, le Seigneur l’a ôté ». Voyez comme il comprend cette puissance suréminente. Garde-toi, ô chrétien, d’adorer Dieu pour le royaume du ciel, et de craindre le diable pour les biens d’ici-bas. Toute puissance, et la souveraine puissance est en Dieu. Le diable a seulement eu la volonté de nuire ; mais il ne l’a pu sans la permission de Dieu. C’est donc en Dieu qu’est toute la puissance. Au reste, si le diable avait le pouvoir comme la volonté, qui donc serait encore chrétien ? Dieu aurait-il encore un adorateur sur la terre ? Ne voyez-vous point s’effondrer le temple du démon, ses idoles se briser, ses prêtres se convertir au vrai Dieu ? Croyez-vous qu’il n’y ait en cela nulle douleur pour le diable, nulle torture ? Si donc sa puissance égalait sa douleur, quelle église pourrait encore subsister ici-bas ? De là vient que, dans sa sainteté, Job dépouillé de tout par les artifices du démon, ne lui accorde néanmoins aucune puissance. Quand il bénit Dieu, il ne dit point : Le Seigneur l’a donné, le diable l’a ôté ; mais il s’écrie : « Le Seigneur l’a donné, « le Seigneur l’a ôté ». Que le diable ne s’arroge rien. C’est par Dieu que j’étais riche, et par Dieu encore que je suis pauvre. S’il lui a été permis de m’éprouver, il ne lui a pas été permis de m’ôter la vie. Or, il m’eût ôté la vie, non en me tenant à la gorge et en m’étranglant, mais en tuant mon âme. Que Job, en effet, au milieu de ses tribulations, eût échappé de sa bouche une parole de blasphème, t’eût été mourir, puisque t’eût été chasser de lui-même l’esprit de vie. Or, c’est ce qu’il ne fait ni dans sa pauvreté si subite, ni dans ses derniers malheurs.

7. C’était peu, en effet, pour le diable, de lui avoir enlevé toutes ses possessions ; il lui enleva aussi ses enfants, pour qui il possédait ses richesses, et ne lui laissa que sa femme. Il n’y eut qu’elle qu’il n’enleva point, parce qu’il avait dessein de s’en servir. Il savait que Adam avait été séduit par Eve. Il se réservait donc en elle une ressource plutôt qu’une consolation pour son mari. C’était encore peu pour lui d’avoir ôté à Job tous ses biens, ne lui laissant que sa femme qui devait lui servir pour le tenter, il demanda à lui ôter aussi la santé du corps. Il lui fut permis de l’ôter encore, afin que, dans cette nouvelle, blessure, Job louât Dieu dans la droiture de son cœur, sans varier nullement, puisque c’est à lui que convient la louange. Cette femme donc réservée pour cette fin, s’approcha de Job et lui persuada de blasphémer Dieu, lui conseilla même. « Quels malheurs sont les nôtres ! » dit-elle en effet : « Parle contre Dieu et meurs[1] ». Eve, la première, fut séduite par le diable qui semblait la convier à vivre, et trouva la mort. Le diable, en effet, lui avait dit : « Tu ne mourras point de mort[2] ». Dans la pensée qu’elle vivrait, elle trouva la mort, parce qu’elle agit contrairement au précepte du Seigneur, et qu’elle persuada à son mari d’agir contre ce précepte. Ici c’est le contraire : « Parle contre Dieu et meurs ! ». Qu’il suffise à Eve d’avoir engagé son mari à transgresser le précepte de Dieu. Celle-ci est une nouvelle Eve. Mais Job n’est plus Adam. Elle était pleine de l’esprit du diable, et lui, corrigé par l’exemple. Job sur son fumier est supérieur à Adam au paradis. Afin que vous compreniez ce que c’est qu’avoir un cœur droit, comment Job put-il vaincre le diable, dans sa pauvreté et couvert de telles plaies ? Voici, en effet, la réponse qu’il fit à sa femme « Vous avez parlé comme une femme insensée ; si nous avons reçu les biens de la main de Dieu, pourquoi n’en pas recevoir les maux ?[3] » Il bénit le Seigneur en tout temps, sa louange fut toujours en sa bouche. Car son cœur était droit, et il lui convenait de bénir Dieu. Ayez le cœur droit. Et si vous voulez avoir le cœur droit, que Dieu ne vous déplaise en rien. Ou bien, en effet, tu découvres la cause qui fait agir Dieu, et à la vue de cette cause, tu ne saurais te plaindre, ou cette cause t’échappe, et tu dois alors savoir que celui qui agit ne saurait déplaire en rien.

8. Un homme renverse sa maison, et on l’en blâme. Si l’on connaît la cause qui le fait agir, il peut arriver qu’on ne l’en blâme point. Nous voici dans une basilique fort étroite, et il plaît au Seigneur que l’on en bâtisse une autre ; alors on détruira celle-ci. Qu’un homme la voie détruire quand on y mettra les ouvriers, il dira : N’est-ce point là qu’on priait ? là qu’on invoquait le nom du Seigneur ? Que fait cet oratoire à ces hommes, pour le détruire ? On désapprouve l’ouvrage, parce qu’on en ignore le dessein. C’est donc

  1. Job. 2, 9
  2. Gen. 3, 4
  3. Job. 2, 10