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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/470

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voir ? Un de ces sages, l’homme le plus éloquent a dit : « Qu’est-ce donc, en effet, que ce longtemps, puisqu’il a une fin ? » Il ne veut donc point qu’il y ait un longtemps, quand la fin peut arriver un jour. Es-tu parvenu à la dernière vieillesse ? tu as vécu un temps, et non pas un long temps. Car la vie d’un homme, surtout aujourd’hui, n’est « qu’une fumée qui apparaît un moment[1] ». Ce que je dis, l’Écriture le dit aux hommes dans leurs jubilations, alors qu’ils s’élèvent dans leur orgueil et ne savent point s’ils ne mourront pas à l’instant. Les divines Écritures leur tiennent ce langage et leur donnent cet avertissement dans leur accès d’orgueil, dans la vaine confiance que leur donne une fragilité si peu durable. « Qu’est-ce que votre vie, dit-elle ? C’est une vapeur qui parait un moment jusqu’à ce qu’elle soit dissipée[2] ». S’élever dès lors dans l’orgueil, c’est se confier dans une vapeur, s’enfler de vaine gloire, pour périr avec cette vapeur. Il faut donc réprimer notre orgueil, le fouler aux pieds autant que possible, comprendre que nous ne vivons ici-bas que pour mourir, élever nos pensées vers cette fin qui ne finira pas. Qui que tu sois, en effet, ô homme qui as vieilli, si tu en ressens de l’orgueil, si tu crois avoir vécu longtemps, toi qui dois finir un jour, sache que si Adam vivait encore, et devait mourir, non pas maintenant, mais à la fin du monde, il n’aurait pas vécu un temps bien long, puisque ce temps aurait une fin[3]. Et ceci est très-vrai, tout homme prudent le comprendra, et non-seulement c’est une vérité que l’on prêche, mais une vérité que les auditeurs comprennent.

3. Reportons notre attention au psaume que nous avons chanté, afin d’y trouver que le Prophète n’a dit : « Je chanterai le Seigneur « aussi longtemps que je vivrai », que dans le sens de cette vie qui dure toujours. S’il n’est, en effet, rien de bien long dans cette vie, parce qu’elle a une fin, ce n’est point cette vie que nous sommes appelés à désirer quand nous devenons chrétiens. Et de fait, nous ne devenons point chrétiens pour être heureux en cette vie de la terre. Car si nous avons embrassé le christianisme, pour jouir du bonheur seulement en cette vie du temps, et encore d’un bonheur si frivole, si vaporeux, nous sommes dans une profonde erreur ; vos pieds seront chancelants en voyant un homme, revêtu de dignité et dominant ceux qui l’entourent, jouir de la santé corporelle et arriver à une vieillesse qui s’éteint lentement. Voilà ce que voit le chrétien pauvre, sans honneur, soupirant chaque jour dans la peine et les gémissements, et qui dit en lui-même : Que me revient-il d’être chrétien ? En quoi suis-je plus heureux que cet autre qui ne l’est pas ? que cet autre qui ne croit pas au Christ ? que cet autre qui blasphème mon Dieu ? Voici l’avertissement du Psalmiste : « Ne mettez point votre confiance dans les princes ». Quel charme a pour toi la fleur du foin ? « Car toute chair n’est qu’un foin ». C’est ce que dit le Prophète, qui non-seulement le dit, mais le crie. Et le Seigneur lui dit : « Crie ». Et il répondit : « Que faut-il crier ? Que toute chair n’est qu’un foin, et toute beauté de la chair, la fleur du foin. Le foin est desséché, la fleur est tombée ». Tout donc a-t-il péri ? Non. « Le Verbe de Dieu demeure éternellement[4] ». Quel charme a pour toi du foin ? Voilà que ce foin périt ; veux-tu ne point périr ? Attache-toi au Verbe. Ainsi le dit aussi notre psaume. Ce chrétien dans l’indigence, dans la bassesse de sa condition, voyait dans ce païen riche et puissant la fleur du foin, et peut-être eût-il préféré être à son service plutôt qu’au service de Dieu. C’est à lui que le Psalmiste adresse ces paroles. « Ne mets point ta confiance dans les princes, ni dans les fils des hommes, en qui n’est pas le salut[5] ». Et notre interlocuteur de répondre : Veut-il parler de celui qui a le salut ? Le voilà en santé. Je le vois aujourd’hui plein de verdeur. Et moi je suis plutôt misérable et languissant. À quoi bon t’arrêter à ce qui a pour toi de l’attrait et des charmes ? Ce n’est point là le salut. « Le souffle s’en ira de lui, et il retournera dans la terre qui est son partage ». Voilà tout salut pour lui. « C’est une vapeur qui apparaît un instant. L’esprit sortira de lui, et il retournera dans la terre qui est son partage ». Laissez passer quelques années, laissez écouler l’eau du fleuve comme à l’ordinaire. Parcourez quelques tombeaux des morts, et distinguez les os du riche des os du pauvre. Quand l’esprit s’est retiré, il est retourné dans la terre qui est son

  1. Cicero, Orat. pro M. Marcello, n.28.
  2. . 4, 15
  3. Cette dernière phrase parait à l’éditeur une épiphonème assez inepte, qui aura passé de la marge dans le texte.
  4. Isa. 40, 6-8
  5. Psa. 145, 3