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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/471

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partage. Le Prophète a grandement raison de ne rien dire de l’esprit de cet homme qui n’a eu pendant sa vie nulle pensée spirituelle. « Il est retourné dans la terre qui lui est propre », c’est-à-dire cette chair, ce corps qui était tout pour lui, ce corps d’orgueil, cette chair si trompeuse et dont l’apparente félicité t’aveuglait. « L’esprit sortira, et il retournera dans la terre qui est son partage ; en ce jour périront toutes leurs pensées ». Ces pensées qui étaient si terrestres ; voilà ce qu’il faut faire, ce qu’il faut achever, où il faut parvenir. Voilà ce que je veux acheter, ce que je veux acquérir, à quel honneur je prétends arriver. « En ce jour s’évanouiront toutes ses pensées[1] ». Mais comme « la vertu de Dieu demeure éternellement », en t’attachant au Verbe, pour lui demander la vie éternelle, non-seulement ta pensée ne périra point, mais c’est alors qu’elle se réalisera. Quand elle périt pour lui, elle se réalise pour toi. Cet homme n’avait que des pensées du temps et de la terre, d’ajouter un champ à un champ, d’entasser trésor sur trésor, de briller dans les honneurs, de s’enfler de sa puissance. Comme donc il avait de telles pensées, « ces pensées mourront toutes en ce jour ». Mais toi, chrétien, si tes pensées, loin de s’arrêter à la félicité de cette vie, ont pour objet le repos sans fin, lorsque ton corps retournera dans la terre, c’est alors que ton âme aura trouvé ce repos.

4. Écoute l’Évangile, vois et considère les pensées de deux hommes. « Il y avait un riche, qui était revêtu de pourpre et de fin lin, et qui donnait tous les jours de splendides festins[2] ». Tous les jours le foin, et la fleur du foin. Ne te laisse pas séduire parla félicité de cet homme qui est revêtu de pourpre et de fin lin, et qui donne de splendides festins chaque jour. C’était un orgueilleux, un impie, n’ayant que des pensées vaines et de vains désirs. Quand il mourut, ce jour-là ses pensées moururent avec lui. Or, il y avait à sa porte un pauvre nommé Lazare. L’Évangile, qui tait le nom du riche, nous dit le nom du pauvre. Dieu n’a point dit un nom qu’emporte le vent. Mais Dieu a daigné nommer celui dont on ne disait pas le nom. Ne t’en étonne pas, je t’en prie. Dieu a raconté ce qu’il a vu écrit en son livre. Or, il est dit des impies : « Qu’ils ne soient pas inscrits sur votre livre[3] ». De même, quand les Apôtres se glorifiaient de ce qu’au nom du Seigneur les démons leur étaient soumis, de peur qu’ils ne vinssent à en concevoir de l’orgueil, comme le reste des hommes, à s’en vanter, bien que ce fût une grande et glorieuse puissance, le Sauveur leur dit : « Ne vous réjouissez point de ce que les démons vous soient soumis ; mais réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans le ciel[4] ». Le Dieu qui habite le ciel garda le silence sur le nom du riche, qu’il ne trouva point écrit dans le ciel ; il proclama celui du pauvre, parce qu’il l’y vit écrit, ou plutôt qu’il l’y fit écrire. Mais voyez ce pauvre. À propos des pensées de ce riche impie, fastueux, vêtu de pourpre et de fin lin et donnant de splendides festins tous les jours, nous avons dit qu’elles périrent avec lui à sa mort. Or, à la porte de ce riche était un pauvre du nom de Lazare, « couvert d’ulcères, et qui désirait se rassasier des miettes qui tombaient de la table du riche, sans que personne les lui donnât ; tandis que les chiens venaient et léchaient ses ulcères[5] ». C’est là que je veux te voir, ô chrétien ; car c’est là que nous apprenons la fin de ces deux hommes. Dieu, dans sa puissance, peut nous donner le salut en cette vie, et nous délivrer de la pauvreté, et donner au chrétien ce qui est suffisant. Et toutefois, si cela venait à manquer, que choisirais-tu ? D’être ce pauvre ou ce riche ? Loin de toi toute illusion. Écoute la fin, et tu verras quel choix est mauvais. Assurément ce pauvre, qui était pieux, méditait, au milieu de ses malheurs temporels, sur cette vie qui doit finir un jour et sur le repos éternel qui doit nous échoir. Tous deux moururent, mais les pensées de ce pauvre ne périrent point avec lui. Car s’il mourut pauvre, il fut porté par les anges au sein d’Abraham. En ce jour toutes ses pensées se réalisèrent. Et comme Lazare signifie, en latin,Adjutus ou aidé, la parole du Psalmiste s’accomplit. « Bienheureux l’homme à qui le Dieu de Jacob vient en aide[6] ». Quand son esprit s’en alla, quand sa chair retourna dans la terre qui est son partage, ses pensées ne périrent point avec lui, « parce que son espérance était dans le Seigneur son Dieu ». Voilà ce que l’on apprend donc à l’école où enseigne le Christ, voilà ce qu’espère l’âme de son disciple fidèle, voilà la plus réelle récompense du Sauveur.

  1. Psa. 145, 4
  2. Luc. 16, 19
  3. Psa. 68, 29
  4. Luc. 10, 20
  5. Id. 16, 21
  6. Psa. 145, 5