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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/479

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premier l’exemple. Or, il trouve un homme qui a fait des progrès, qui ne marche plus comme il marchait, c’est-à-dire dans le mal. Mais cet homme est en butte à la méchanceté d’un ennemi, et il voudrait que Dieu le retirât de ce monde ; et il murmure contre le Seigneur, qui lui laisse ici-bas un ennemi puissant, et ne le délivre point de ses vexations. Cet homme oublie que le Seigneur l’a supporté avec patience, et que, s’il eût usé de sévérité envers lui, il ne serait plus là pour murmurer. Tu demandes à Dieu d’être sévère ? Mais tu as passé, souffre qu’un autre passe aussi. Car tu n’as pas, après ton passage, coupé le pont de la divine miséricorde. Il en est d’autres à passer. Dieu t’a fait bon, de mauvais que tu étais, il veut qu’un autre aussi, de mauvais devienne bon, comme toi-même as changé du mal au bien. Ainsi tous viennent à leur tour. Mais certains refusent de venir, d’autres viennent volontiers. C’est aux premiers que l’Apôtre a dit : « Par votre dureté, par l’impénitence de votre cœur, vous vous amassez un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation a du juste jugement de Dieu qui rendra à chacun selon ses œuvres[1] ». Et puis, si le méchant veut persévérer dans le mal, au lieu d’être un compagnon pour toi, il sera une occasion d’épreuve. Car s’il est méchant, et toi bon, ta patience à supporter le mal prouve en toi la bonté. Tu recevras donc la couronne de l’épreuve, tandis qu’il subira la peine de sa persévérance dans le mal. Quoi que fasse le Seigneur, attendons avec patience sa paternelle correction. Il est père, en effet, il est bienveillant, il est miséricordieux. Qu’il laisse nos jours s’écouler en paix, c’est alors que, pour notre malheur, il s’irrite contre nous.

13. Voyez, mes frères, jetez un coup d’œil sur ces amphithéâtres qui s’écroulent aujourd’hui. La luxure les a construits. Pensez-vous, en effet, qu’ils soient l’œuvre de la piété ? Non, ils ne sont l’œuvre que de la luxure des hommes impies. Or, ne voulez-vous point que s’écroulent un jour les édifices de la luxure et que s’élèvent les édifices de la piété ? Quand on construisait ces monuments, Dieu permit qu’un jour les hommes reconnussent les désordres qu’ils commettaient. Mais comme ils ne les voulurent point reconnaître, Notre-Seigneur Jésus-Christ est venu, a commencé à prêcher leurs désordres, à détruire ce qu’ils avaient de plus cher, et les voilà qui disent : Les temps sont mauvais depuis le christianisme. Pourquoi ? Parce que l’on détruit sous tes yeux ce qui te faisait mourir. Mais, nous disent-ils, on regorgeait de biens, quand se donnaient ces spectacles. Sans doute, et c’est de là que venaient ces grands biens. Si donc tu reconnais que Dieu t’a donné un jour cette abondance dont tu as fait mauvais usage, usage de perdition, comprends que cette abondance t’a conduit à la mollesse et à la perte de ton âme. Alors est venu le Père qui a dit avec sévérité : Voilà un enfant indiscipliné. Je lui ai confié tel ou tel bien, comment donc a-t-il perdu l’un et l’autre ? Si nous-mêmes nous ne confions aucune semence à la terre, qu’elle ne soit bien préparée, de peur que cette semence ne vienne à se perdre, comment voulez-vous que Dieu nous donne ses biens en abondance, quand nous sommes insubordonnés au point de négliger notre vie, quand cette abondance deviendrait une source d’abus, et ne voulez-vous pas que Dieu arrête les hommes sur la pente de la perdition. Mes frères, Dieu est médecin, et il sait nous enlever un membre gangrené, de peur que le mal ne gagne les autres. Il faut couper ce doigt, dit-il ; car un doigt de moins est mieux que tout le corps s’en allant en pourriture. Si le médecin, qui est un homme, en agit ainsi d’après son art, si l’art médical retranche quelque partie des membres, pour empêcher la gangrène de tout envahir, pourquoi Dieu n’amputerait-il pas chez les hommes ce qu’il connaît de gangrené, pour les faire arriver au salut ?

14. Loin de nous donc, mes frères, cet ennui pour la main sévère de Dieu, de peur qu’il ne nous laisse et que nous ne périssions éternellement ; demandons-lui plutôt qu’il tempère les châtiments, qu’il les proportionne de manière que nous ne succombions point, demandons-lui qu’il nous redresse pour notre salut, qu’il mesure l’épreuve, et nous rende ensuite ce qu’il a promis à ses saints. Voyez ce qu’a dit l’Écriture : « Le pécheur a irrité le Seigneur, et dans sa grande colère il n’en tirera point vengeance [2]. » Qu’est-ce à dire, qu’« il n’en tirera pas vengeance dans sa colère ? » C’est-à-dire que telle est sa colère, qu’il ne recherchera point ses fautes, mais qu’il

  1. Rom. 2, 5
  2. Psa. 10, 4