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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/536

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qu’on leur a dit à l’oreille ? Remarque, d’une part, le motif qui porte l’adultère à craindre d’être reconnu et puni, et, d’autre part, le motif qui inspire la confiance à l’amateur de l’invisible beauté. Le Sauveur lui-même te le fait connaître par la suite de son discours. En effet, après avoir dit : « Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le à la lumière, et ce que vous entendez à l’oreille, prêchez-le sur les toits », il ajoute : « Ne craignez point ceux qui tuent le corps ». Par là, ce que vous entendez dans les ténèbres, vous le direz à la lumière, et ce qu’on vous dit à l’oreille, vous le prêcherez sur les toits. « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps ». L’adultère peut et doit craindre ceux qui tuent le corps, car son corps une fois perdu, adieu la source de toutes les voluptés ! Oui, qu’il craigne de perdre son corps celui qui mène une vie toute matérielle, puisque le corps lui sert d’instrument pour satisfaire toutes ses convoitises. Pour un pareil homme, ce n’est pas assez d’avoir des passions ; il les attise, et à force d’en entretenir le feu dévorant, il arrive à la dégoûtante satisfaction de ses instincts brutaux.
9. Homme de Dieu, as-tu les yeux du cœur pour contempler la splendide beauté de la piété et de la charité ? Si tu les as, remarque bien ce qui peut te mettre en possession de ton âme : pour en jouir, tu n’as pas à te servir de tes membres corporels. Que l’amateur de sales voluptés craigne devoir mourir son corps. Mais « que la paix soit aux hommes de a bonne volonté sur la terre[1] ». O chrétien, que tu es encore loin de ressentir cet amour ! Si seulement tu parvenais à cet « humainement » de l’Apôtre ! si seulement tu trouvais du plaisir à faire le bien, comme tu en trouvais jadis à commettre l’iniquité ! Car, si lu éprouves du bonheur à bien faire, à croire au Christ, à jouir de son infinie sagesse en dépit de ta misérable insuffisance, à écouter et à pratiquer ses commandements, alors commence à se vérifier en toi cette parole de Paul « Je parle humainement à cause de ton infirmité » ; tu es entré en possession « du don parfait », mais tu n’es point encore parvenu à la perfection du carré. Comme je l’ai dit, tu as pris le dessus ; marche donc, car tu as encore du chemin à parcourir ; ne reste pas à la même place, car il te reste encore quelque chose à faire ; ne crains rien : ne dérobe pas aux regards d’autrui tes bonnes œuvres, comme si tu avais à craindre des critiques et des reproches. Que te dit le grand Apôtre ? Est-ce pour toi une honte d’être du ciel ? On te demande d’où tu viens, et tu as peur de répondre que tu viens de l’église ! Et tu as peur qu’on te dise : « Tu portes la barbe, et tu n’es pas honteux d’aller où vont les veuves et les vieilles femmes ! » N’écoute pas de pareilles gens. Tu trembles de dire : Je suis allé à l’église. Une insulte t’inspire la plus vive horreur ; comment donc supporteras-tu la persécution ? Mais, aujourd’hui, nous sommes en paix ; nul doute à cet égard. Ce devrait être aux hérétiques à rougir : ils sont en si petit nombre dans leur parti, et ils ne rougissent pas ! et les nombreux adhérents de la vraie foi baissent les yeux ! Où ceux-ci en sont-ils arrivés ? Où sont restés ceux-là ? Les premiers sont parvenus à la lumière de la paix, les seconds sont restés au milieu des ténèbres de la confusion. Vous ne rougissez pas de rougir de ce qui devrait faire votre gloire ! Les païens ne rougissent pas de choses honteuses, et vous rougissez de choses glorieuses ! Que sont donc devenues ces paroles dont on vous a fait la lecture : « Approchez-vous de lui, et vous serez éclairés, et la honte ne sera plus sur votre visage[2] ».
10. J’ai ainsi parlé, mes frères, car, je le sais et j’en gémis amèrement, on craint la langue de quelques païens qui ne persécutent pas, mais qui vomissent des insultes ; des hommes qui voudraient croire sont paralysés dans leurs désirs, puisqu’ils ne se rendent point aux exhortations des chrétiens. Que dire de plus ? Que dirai-je moi-même ? Tu vois qu’on fait tout pour empêcher le premier païen venu de se faire chrétien : et toi, qui es chrétien, tu gardes le silence ! L’essentiel, à tes yeux, est qu’on t’épargne, c’est-à-dire qu’on ne t’insulte pas ! Quand on détourne de la foi le païen, tu te dis en secret : Dieu soit loué ! on ne m’a rien dit. Tu prends la fuite, non de corps, mais en esprit ; tu restes en place et tu t’esquives ; tu crains d’entendre une méchante langue invectiver contre toi, et tu abandonnes à sa propre faiblesse un homme que tu devrais gagner au Christ ; tu ne lui viens pas en aide, tu gardes le silence ! Je le répète, tu prends la fuite, non de corps, mais en esprit.

  1. Luc. 2, 13
  2. Psa. 33, 6