Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/611

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il ignore qu’en donnant la mort aux hommes, il se l’est donnée à lui-même. Le Seigneur, d’autre part, regrette que l’homme ait mérité une sentence de mort plutôt qu’une sentence de vie ; il regrette que l’homme ait mérité de périr plutôt que d’être sauvé ; que celui-ci, enfin, ait repoussé la gloire plutôt que la mort. Mais il est plus ému toutefois de la malice du serpent que du mépris dont l’homme s’est rendu coupable ; il éprouve un sentiment d’horreur profonde pour la cruauté de l’ennemi et un sentiment de compassion miséricordieusement paternelle pour l’homme séduit et trompé. Il maudit à tout jamais celui qui, le premier, a savouré le plaisir de nuire, et il prend pitié de l’homme qui a été victime de la plus atroce perfidie.

4. Le Seigneur Dieu dit ensuite : « Où es-tu, Adam ? » Par cette interrogation il provoque un aveu. Il désire que celui qu’il sait être devenu criminel confesse sa faute. Il cherche le moyen d’exercer sa miséricorde ; il s’entretient avec le coupable de son péché. Il songe à pardonner, en même temps qu’il se plaint du motif pour lequel sa loi a été méprisée. Il adresse des reproches sévères, accablants, afin de pouvoir accorder le pardon aux coupables : ceux qu’il n’a pas voulu rendre impeccables en les créant, il veut du moins pouvoir les purifier en les amenant à confesser leur iniquité. Ils reçoivent des vêtements de peau, afin qu’après avoir avoué leur crime, ils méritent, par l’humilité de leur extérieur, d’en recevoir le pardon. Le Seigneur montre ici par quels moyens on peut être purifié de ses péchés. 2 montre que la confession d’abord, et ensuite la rudesse et l’austérité dans la manière de se vêtir, nous aident à obtenir notre pardon très-facilement. Car si c’est un orgueil et une opiniâtreté criminels de vouloir cacher une mauvaise action commise sous les yeux de Dieu, il n’est pas moins dangereux de chercher à dissimuler la laideur d’une âme coupable et flétrie par la richesse et l’éclat de la parure extérieure. Que personne donc, qu’aucun pécheur ne couvre ses fautes du voile d’une joie apparente qui ne serait pas autre chose qu’un désespoir réel : si votre cœur se trouve infecté par la contagion des plaisirs coupables, n’y insinuez pas encore le poison de la dissimulation. Que la tristesse de votre corps témoigne hautement du mal auquel votre âme est en proie. Une blessure faite à celle-ci doit provoquer les larmes de celui-là ; car, toutes les fois que le corps éprouve une douleur, une souffrance quelconque, l’âme est aussitôt pénétrée d’un sentiment d’amertume et de compassion. Une lésion n’existe jamais dans le corps, sans provoquer dans l’âme un sentiment d’affectueuse condoléance, et les flétrissures de l’âme doivent se manifester par la douleur du corps. La tristesse doit être commune à l’un et à l’autre, afin que tous deux aient également part au pardon ; car il faut nécessairement qu’ils reçoivent les mêmes faveurs et les mêmes biens, ou qu’ils soient en proie à des souffrances et à des tortures communes. L’homme, en effet, n’est pas autre chose que la réunion d’un corps et d’une âme. Autant ce corps et cette âme diffèrent et sont éloignés l’un de l’autre par leur essence, autant est étroite l’union qui s’opère entre eux pour former l’homme. Non-seulement ils ne sauraient être séparés durant le cours de la vie ; mais, durant l’éternité même, ils partageront ensemble la même récompense ou le même châtiment. Le corps pur ne sera jamais séparé de l’âme à laquelle il aura été uni ; et le corps flétri se trouvera fatalement associé à la destinée de l’âme coupable. Si donc, au jour du jugement, ils participeront l’un et l’autre aux biens immenses que la divine miséricorde dispensera à l’homme juste, pourquoi dès cette vie la tristesse ou la joie ne serait-elle pas aussi commune à tous deux ?

5. C’est pourquoi, ô chrétien, tu ne saurais plus trouver absolument aucune excuse, toi qui, après avoir été esclave, es redevenu libre ; que dis-je ? toi qui, après avoir été délivré de ta captivité, guéri de tes blessures, absous et relevé de la sentence prononcée contre toi, as reçu encore, pour servir de règle à ta conduite, les avertissements les plus explicites et les plus solennels ; toi, enfin, dont le zèle doit s’enflammer au souvenir des exemples terribles dont tu as entendu le récit. Adam ne connaissait point la fourberie du démon, il n’avait point pleuré sur le malheur d’une créature quelconque devenue la victime de cette fourberie ; il semble donc moins coupable d’avoir succombé en luttant le premier contre un tel ennemi. Mais toi, tu as reçu de la bouche du Seigneur les instructions