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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/625

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l’efficacité du remède. Il est venu en personne, et vous ne croyez point ; vous criez que vous êtes tombé au fond de l’abîme, et vous ne voulez point en sortir. Voyez donc combien est immense la miséricorde du Sauveur. À quoi tendaient tous les efforts de l’Homme-Dieu, sinon à obtenir que son peuple, déjà dispersé, ne pérît pas entièrement ? Il voulait le rétablir dans sa gloire et sa puissance d’autrefois ; mais, ne pouvant l’amener à lui par les avertissements et les exhortations, il employa, pour le rappeler, les miracles les plus éclatants. Et cependant, ce moyen ne les touche pas davantage. « C’est un Samaritain, « disaient-ils, et un possédé du démon[1] ». O longanimité inépuisable de la divine miséricorde ! Il reçoit les outrages les plus injurieux, et il ne s’émeut point. Qui ne reconnaît à ce trait la grandeur d’âme, le dévouement d’un vrai libérateur ? Il ne te suffit pas, ô multitude en délire, de refuser opiniâtrement de reconnaître ton Seigneur ; tu ne veux pas même voir un bienfait dans cette longanimité inépuisable ! Telle est la mesure de ton ingratitude ! C’est bien avec raison que le Prophète s’écriait : « O race méchante et perverse, voilà comment vous témoignez au Seigneur votre reconnaissance[2] ». Où trouver une malice, une perversité aussi grande ! Ils se sont égarés de leur chemin ; ils ont abandonné Dieu, et ils repoussent la main qui leur présente le remède.

2. Il faut donc laisser de côté ce peuple qui veut persévérer éternellement dans sa perfidie. Il est une autre race d’hommes à qui il est plus urgent d’annoncer la bonne nouvelle. Voici venir une femme chananéenne qui, adoucissant la férocité habituelle à sa race barbare, confesse la vérité. Oubliant soudainement sa férocité naturelle, elle s’écrie : « Ayez pitié de moi, fils de David ?[3] » Elle confesse hautement que, dans sa croyance, il n’existe aucun autre moyen pour obtenir la délivrance de sa fille. Née d’un sang barbare, elle proclame Fils de David Celui que le peuple refusait de reconnaître comme tel, et, dans l’ardeur de sa foi, cette femme ne demande pas autre chose que d’entendre une parole de la bouche du Sauveur. Elle estime que sa fille pourra être guérie par cette seule parole. Car elle dit : « Ma fille ne pourra être a guérie, à moins que je n’aie le bonheur d’obtenir une réponse de votre bouche ». Jésus ne lui adresse d’abord aucune parole ; mais il ne méprise pas, pour cela, sa confiance et sa foi. Il veut, au contraire, que cette foi s’accroisse en elle de plus en plus. Enfin, après un long silence, Jésus laisse s’échapper de ses lèvres ces paroles : « Il n’est pas convenable de prendre le pain des a enfants et de le jeter aux chiens[4] ». Dans cette réponse le mot enfants désigne le peuple d’Israël ; car, dans le langage sacré, le peuple de Dieu conservait encore ce titre, bien qu’il eût depuis longtemps perdu cette qualité et l’affection immense dont cette qualité le rendait l’objet. Israël perd le nom même de fils, le jour où il refuse de reconnaître son Père. Vous ne savez point, ô peuples insensés ; vous laisser vaincre par cette parole qui guérit et qui sauve. En reniant votre Père, vous renoncez à la qualité de fils, alors même que vous prétendriez en conserver le nom. Jésus a déclaré que ses pains ne doivent pas être jetés aux chiens. Dès que vous aurez perdu le nom de fils, les chiens se trouveront être meilleurs que vous. Voyez combien est grande la miséricorde du Seigneur : il conserve en vous le trésor de la foi. Prenez garde de vous laisser vaincre par les chiens. Le Seigneur a donné ce nom à une femme de Chanaan ; et celle-ci, cependant, n’a point rougi outre mesure de cette qualification ; car la nature elle-même ne forme pas tous les chiens de la même sorte. Il existe, parmi les différentes variétés d’animaux de cette espèce, telle race plus douce et plus intelligente, qui reconnaît son maître et, parfois, suit ses traces sans se laisser dérouter par quoi que ce soit ; si cet animal sent qu’il est l’objet d’une certaine affection, il garde le seuil de son maître avec une attention qui ne se dément point, avec un zèle que la faim ne refroidit pas et que les coups ne sauraient éteindre. Il pousse, en recherchant son maître, des cris que l’on croirait salariés ; il est obéissant à sa manière il ne saurait traduire ses impressions dans un langage articulé, mais il sait bien se faire comprendre par son regard humble et son attitude suppliante. « Ayez pitié de moi », s’écrie celle que le Seigneur qualifie du nom de cet animal.

2. Elle ajoute ensuite : « Pourquoi, de votre a bouche adorable, m’adressez-vous une réprimande

  1. Jn. 8, 48
  2. Deu. 32, 5
  3. Mat. 15, 22
  4. Mat. 15, 26