Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/637

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avoir éprouvé la douleur de la circoncision charnelle, ou subi aucune des purifications prescrites par la loi. Ils s’irritèrent en voyant ces mêmes gentils nourris du veau gras. Pour être juste, nous devons ajouter que ces Juifs ont cru depuis, on leur a donné toutes les explications désirables, et ils se sont tus. Mais on peut encore aujourd’hui rencontrer tel ou tel juif qui ait eu, jusqu’à cette heure, la loi de Dieu constamment à l’esprit et qui en ait porté le joug, sans mériter jamais aucun reproche ; un juif qui puisse se rendre un témoignage semblable à celui que se rendait à lui-même Saul, devenu au milieu de nous Paul, et d’autant plus grand qu’il s’est fait plus petit ; d’autant plus digne de nos respects et de notre vénération, qu’il s’est humilié davantage. Le mot Paulus, en effet, signifie très-petit ; de là ces expressions : je vous parle un peu avant, paulo ante, un peu après, paulo post. Paulo ante ne signifie pas autre chose que : « Très-peu de temps avant ». Pourquoi donc Saul a-t-il pris le nom de Paul ? C’est lui-même qui nous l’apprend : « Je suis », dit-il, « le plus petit d’entre les Apôtres[1] ». Tout juif donc pouvant, dans la sincérité de sa conscience, se rendre témoignage que, depuis sa première enfance, il n’a pas cessé d’adorer un seul Dieu, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu prêché par la loi et les Prophètes, et d’observer les prescriptions de sa loi ; ce juif, dis-je, voyant le genre humain marcher sous l’étendard du Christ, commence à méditer sur l’existence de l’Église ; et, en prenant l’Église pour objet de ses méditations, il approche de la maison en revenant des champs. Car il est écrit : « Comme le frère aîné revenait des champs et approchait de la maison[2] ». De même que le plus jeune des fils se multiplie chaque jour par les païens qui embrassent la foi, de même aussi le fils aîné revient, rarement, il est vrai, d’entre les Juifs. Ils considèrent l’Église, ils admirent cette institution qui leur paraît d’abord étrange. Ils voient la loi entre leurs mains, ils la voient aussi dans les nôtres ; ils lisent les Prophètes, nous lisons aussi les Prophètes ; ils n’ont plus désormais de sacrifice, nous avons, nous, un sacrifice qui est offert chaque jour. Ils voient qu’ils ont été dans le champ du Père, mais ils ne participent point à la manducation du veau. On entend aussi le bruit de la symphonie et du chœur qui retentit de l’intérieur de la maison. Qu’est-ce que la symphonie ? c’est l’accord des voix. Ceux dont les cœurs sont en désaccord font entendre des cris discordants, et ceux entre qui règne la concorde font entendre des sons très-bien harmonisés. Telle est la symphonie que l’Apôtre enseignait en ces termes : « Je vous conjure, mes frères, de n’avoir tous qu’un même langage et de ne pas souffrir de schisme parmi vous[3] ». À qui ne plairait pas cette sainte symphonie, je veux dire, cet accord de voix qu’aucun cri discordant ne trouble, auquel ne vient se mêler aucun son capable de blesser une oreille délicate ? Le chœur, lui aussi, exige l’accord et l’harmonie des voix. Un chœur n’est agréable qu’autant qu’il résulte de plusieurs voix n’en formant plus qu’une seule et résonnant à l’unisson.

10. Le fils aîné, entendant cette symphonie et ce chœur dans la maison, se mit en colère et refusait d’entrer. Comment donc se fait-il que tel ou tel juif bien méritant s’adresse aux siens en ces termes : D’où viennent aux chrétiens tant de faveurs signalées ? Nous avons conservé les, lois de nos pères ; Dieu a parlé à Abraham, de qui nous sommes nés. La loi a été donnée à Moïse, à celui-là même qui nous avait délivrés de la terre d’Égypte, en nous conduisant à travers les eaux de la mer Rouge. Et voilà qu’aujourd’hui ces chrétiens s’emparent de nos Écritures, chantent nos psaumes par tout l’univers et ont un sacrifice ; qu’ils offrent chaque jour ; nous, au contraire, nous avons cessé d’offrir des sacrifices et nous n’avons plus de temple. Il interroge même son esclave et lui demande ce que cela signifie. Eh bien, oui, que ce juif interroge n’importe quel esclave ; qu’il lise les écrits des Prophètes, les écrits de l’Apôtre, qu’il interroge qui il voudra ; ni l’Ancien, ni le Nouveau Testament n’ont gardé le silence au sujet de la vocation des gentils. On peut entendre sous le nom d’esclave un livre dont on cherche à approfondir le sens. Prenons, par exemple, le livre de l’Écriture, et nous l’entendrons nous dire : « Votre frère est revenu, et votre père a tué le veau gras pour le recevoir, parce qu’il l’a retrouvé sain et sauf[4] ». Demandez ensuite à ce même esclave quel

  1. 1Co. 15, 9
  2. Luc. 15, 25
  3. 1Co. 1, 10
  4. Luc. 15, 27