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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/638

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est celui que le père a retrouvé sain et sauf ? Celui, vous dira-t-il, qui était mort et qui a été rendu à la vie ; le père l’a reçu pour lui conférer la grâce du salut ; et il devait réellement tuer le veau gras pour célébrer le retour d’un fils qui s’était égaré si loin de lui. Car on ne devient impie qu’autant qu’on s’égare loin de Dieu. Un autre esclave, l’Apôtre saint Paul répond à son tour : « Le Christ est mort pour les impies[1] ». Le fils aîné se fâche, s’irrite et refuse d’entrer ; mais il s’apaise lorsque son père vient l’exhorter, et il entre alors. Il a refusé d’entrer après la réponse de l’esclave : le même fait, mes frères, se reproduit sous nos yeux. Nous puisons souvent dans les divines Écritures les arguments les plus capables de confondre les Juifs ; mais notre parole n’est que la parole de l’esclave, et le fils se met en colère ; ils sont vaincus et réduits au silence, mais ils ne refusent pas moins d’entrer. Pourquoi ce refus ? leur direz-vous. Le bruit de la symphonie et de la danse vous émeut et vous irrite, la joie et les réjouissances auxquelles se livre, dans votre maison, une foule nombreuse, la pensée du veau gras tué, voilà ce qui excite votre jalousie et votre colère. Personne, cependant, ne vous a exclu de cette fête. – Exhortation inutile. Tant que l’esclave seul parle, le fils aîné n’entend que la voix de la colère, et il refuse d’entrer.

11. Revenez au Seigneur qui vous dit : « Nul ne vient à moi, excepté ceux que le Père a attirés[2] ». Le Père donc sort et prie son fils ; c’est là ce que signifie le mot attirer. Un supérieur est plus puissant quand il prie que quand il ordonne. Voici en effet ce qui arrive parfois, mes bien-aimés : certains hommes appartenant à cette race que nous avons nommée tout à l’heure ont étudié les Écritures avec zèle, et leur propre conscience leur rendant un témoignage quelconque de leurs bonnes œuvres, ils peuvent dire à leur Père « Mon Père, je n’ai point transgressé vos commandements[3] ». On peut alors les convaincre à l’aide des Écritures, et ils ne trouvent absolument rien à répondre. Ils s’irritent néanmoins et résistent comme s’ils avaient encore l’espoir ou la volonté de vaincre. Vous les abandonnez alors à leurs propres pensées, et Dieu commence en même temps à leur parler intérieurement. C’est le père qui sort et qui dit à son fils : Entre et viens t’asseoir à la table du festin.

12. Et le fils de répondre : « Voilà tant d’années que je vous sers, je n’ai jamais transgressé vos commandements, et vous ne m’avez jamais donné un chevreau pour le manger avec mes amis. Aujourd’hui revient cet autre fils qui a dévoré son patrimoine avec des femmes perdues, et vous tuez pour lui le veau gras[4] ». Il y a déjà des pensées intérieures dans celui à qui le père fait entendre sa voix d’une manière également secrète et admirable. Il s’agite et se répond à lui-même, non plus précisément quand l’esclave lui a répliqué, mais quand le père l’a prié en quelque sorte et l’a exhorté avec douceur. Et que se dit-il à lui-même ? Nous possédons les Écritures de Dieu et nous ne nous sommes point éloignés du Dieu unique : nous n’avons point élevé nos mains vers une divinité étrangère. Nous n’avons jamais connu, nous n’avons jamais adoré que celui qui a fait le ciel et la terre, et nous n’avons pas reçu un chevreau. – Où trouve-t-on les chevreaux ? Parmi les pécheurs. Pourquoi ce fils aîné se plaint-il de n’avoir pas reçu un chevreau ? Parce qu’il souhaite de pouvoir à la fois faire bonne chère et commettre le péché. Ce qui excitait sa colère est précisément ce qui fait aujourd’hui l’objet de la douleur et des regrets des Juifs ; car ceux-ci comprennent que le Christ ne leur a point été donné, parce qu’ils n’ont vu en lui qu’un chevreau. Car ils reconnaissent leur propre parole, leur propre témoignage dans cette parole et ce témoignage de leurs ancêtres : « Nous savons que cet homme est un pécheur[5] ». On vous offrait un veau, vous l’avez repoussé sous prétexte que c’était un chevreau, et vous n’avez pris aucune part au festin. « Vous ne m’avez jamais donné un chevreau », ajoute-t-il, sachant parfaitement que son père n’avait point de chevreau, mais seulement un veau. O vous qui êtes restés jusqu’ici en dehors de la maison, sous prétexte que vous n’aviez point reçu de chevreau, entrez aujourd’hui et participez au veau qui vous est offert.

13. Qu’est-ce, en effet, que le père lui répond ? « Toi, mon fils, tu es toujours avec moi[6] ». Le père rend aux Juifs ce témoignage, qu’ayant toujours adoré le Dieu unique, ils n’ont jamais cessé d’être près, de lui.

  1. Rom. 5, 6
  2. Jn. 6, 44
  3. Luc. 15, 29
  4. Luc. 15, 29-30
  5. Jn. 9, 24
  6. Luc. 15, 31