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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/648

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de l’esprit lorsque, par exemple, le Seigneur dit, en parlant des Juifs : « À qui comparerai-je cette génération très-perverse, ou bien à qui pourrai-je dire qu’elle ressemble ? Elle est semblable à des enfants qui sont réunis sur la place publique pour jouer et qui disent : Nous avons dansé, et vous n’avez point chanté ; nous avons pleuré, et vous n’avez point mêlé vos pleurs aux nôtres ». C’est, en effet, le caractère de cet âge de parler sans cesse pour dire des riens, et le fouet seul est capable de mettre fin à ce babil intarissable et de donner du poids à cette insaisissable légèreté.

4. L’enfant dont il est ici question représente le peuple juif, lequel, par suite de la légèreté et de l’inconstance de son esprit, n’est point demeuré ferme dans la foi et dans la connaissance de Dieu. Ce peuple a eu cinq pains, c’est-à-dire qu’il a reçu les cinq livres de Moïse, savoir : la Genèse, l’Exode, le Lévitique, les Nombres et le Deutéronome, livres qui, dans la langue hébraïque, se nomment respectivement Bresit, Elesemoth, Vagecra, Vagedaber, Elleabdabarim. Et c’est à juste titre qu’il est représenté ici comme ayant des pains d’orge, à cause de la dureté de la loi. L’orge, en effet, a une écorce très-dense, et il n’est pas facile d’en atteindre le cœur : image de l’obscurité de la loi qui, avant l’avènement du Seigneur, était tellement voilée, que nul homme ne pouvait la comprendre ni en saisir le sens spirituel, et que celui-là même qui avait donné la loi a dû venir pour en donner aussi l’intelligence. Si les cinq pains représentent les cinq livres de Moïse, nous pouvons reconnaître pareillement dans les deux poissons deux autres livres, je veux dire, les oracles des Prophètes et les cantiques des Psaumes, lesquels avaient, aux yeux de ce même peuple, l’autorité la plus grande et la plus sacrée après le livre de la loi. Le premier était lu fréquemment dans les synagogues, et le second était chanté de mémoire d’une manière non moins assidue. Ces deux poissons, en effet, rappellent très-naturellement les deux livres où est écrite par avance l’histoire du peuple qui, formé par l’Église, devait reproduire dans ses mœurs les caractères principaux qui distinguent le poisson. Ces caractères propres et naturels du poisson sont au nombre de quatre : le premier consiste en ce qu’il ne peut vivre sans eau ; le second, en ce qu’il a coutume de sauter à la surface des eaux ; le troisième, en ce que plus il est frappé par les flots, plus il devient fort et vigoureux ; le quatrième, en ce que cette espèce d’animaux est essentiellement pure, ils engendrent et sont engendrés en dehors de toute union charnelle. De même donc que le poisson ne peut vivre sans eau, de même aussi le peuple dont il s’agit ne peut entrer dans la vie éternelle sans avoir été plongé dans l’eau baptismale ; car le Seigneur a dit : « Quiconque ne renaît point de l’eau et de l’Esprit-Saint, ne pourra entrer dans le « royaume de Dieu[1] ». Le poisson saute à la surface des eaux, et ce peuple, méprisant les choses de la terre, s’élève sur les ailes de la contemplation jusqu’aux choses célestes, conformément à ces paroles de l’Apôtre : « Notre vie est dans les cieux[2] ». Le poisson devient d’autant plus fort et vigoureux qu’il est plus frappé par les flots, et le vrai chrétien devient d’autant plus parfait et plus saint aux yeux de Dieu, qu’il subit dans cette vie des épreuves plus dures et plus multipliées, et qu’il peut dire avec le Prophète : « Vous nous avez fait tomber dans le piège que nos ennemis nous avaient tendu ; vous avez chargé nos épaules de toute sorte d’afflictions ; vous nous avez livrés comme esclaves à des hommes qui nous ont accablés de maux ; nous avons passé par le feu et par l’eau, et vous nous avez enfin conduits dans un lieu de rafraîchissement[3] ». Et de même que les poissons sont purs et engendrent ou sont engendrés en dehors de toute union charnelle, de même aussi il y a dans l’Église des hommes qui renoncent à toute union de ce genre et qui s’appliquent à conserver leur virginité constamment intègre, accomplissant ainsi cette parole du Seigneur dans l’Évangile : « Que vos reins soient ceints et vos lampes toujours allumées[4] ». Nous pouvons aussi voir dans ces deux poissons le symbole des deux ordres qui étaient les plus célèbres parmi le peuple juif, savoir : l’ordre royal et l’ordre sacerdotal, destinés, le premier à diriger et gouverner, le second à instruire ; le Seigneur Jésus a daigné réunir en lui ces deux ordres et se faire à la fois notre roi et notre prêtre ; notre roi, pour nous diriger dans la voie du bien ; notre prêtre, en s’offrant

  1. Jn. 3, 5
  2. Phi. 3, 20
  3. Psa. 65, 11-12
  4. Luc. 12, 35