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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/647

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sorte de tentation qui naît de la faiblesse de la chair et de son inclination vers les jouissances grossières ; c’est de celle-là que l’apôtre saint Jacques parlait en ces termes : « Chacun est tenté par sa propre concupiscence qui l’entraîne et le séduit[1] » ; et saint Paul : « Qu’aucune tentation ne vienne vous assaillir « autre que celles qui sont inhérentes à la « nature humaine[2] ». Il y a enfin une troisième sorte de tentation par laquelle Dieu tente l’homme pour l’éprouver ; telle fut celle dont Moise parlait aux Israélites quand il leur disait : « Le Seigneur votre Dieu vous tente afin de savoir si vous l’aimez ou non[3] » ; et un certain sage : « La fournaise éprouve le vase du potier, et la tentation de la tribulation éprouve les hommes justes[4] ». Telle fut aussi la tentation que Dieu exerça à l’égard d’Abraham, quand il voulut rendre manifeste aux yeux des hommes la justice de son serviteur, qui lui était parfaitement connue. Le Prophète souhaitait d’être tenté de cette manière, quand il disait : « Éprouvez-moi, Seigneur, et tentez-moi[5] ». C’est donc cette dernière sorte de tentation que le Sauveur exerça à l’égard de Philippe ; il voulut lui apprendre un mystère qu’il n’aurait pas dû ignorer, et lui démontrer d’une manière tout à fait évidente et sensible que, en présence de « Celui qui tire le pain du sein de la terre et qui forme le vin propre à réjouir le cœur de l’homme[6] », il n’est pas permis de douter que des foules nombreuses puissent être nourries et rassasiées à l’aide de quelques pains. Il n’y a donc pas lieu de craindre cette sorte de tentation ; on doit, au contraire, la supporter et la désirer afin d’être éprouvé, conformément à cet avertissement de l’apôtre saint Jacques : « Estimez que vous avez pleinement sujet de vous réjouir, mes frères, lorsque vous tombez en diverses tentations[7] ; sachant que la tentation produit la patience, que la patience produit la pureté, et que la pureté produit l’espérance[8] » ; et ailleurs : « Bienheureux l’homme qui souffre patiemment la tentation, parce qu’après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie que Dieu a promise à ceux qui l’aiment[9] ».

3. « Philippe répondit : Quand on achèterait pour deux cents deniers de pain, cela ne suffirait pas pour que chacun d’eux en reçût même un petit morceau ». Le nom de Philippe signifie bec de lampe. Il désigne en cet endroit le peuple juif, dont tous les membres s’empressèrent autrefois de célébrer les louanges de Dieu avec l’ardeur et la vivacité de la flamme qui s’échappe d’une lampe. Quand le même apôtre ajoute : « Deux cents deniers de pain ne suffiraient pas pour que chacun d’eux en reçût un petit morceau[10] », il représente la foi devenue rare ou du moins très-faible chez ce peuple qui ne croit pas que la présence corporelle du Seigneur et le petit nombre des Apôtres suffisent pour faire parvenir à tout le genre humain la connaissance de l’un et de l’autre Testament. Les deux cents deniers figurent les deux Testaments. « Un de ses disciples, André, frère de « Simon-Pierre, lui dit : Il y a ici un enfant qui a cinq pains d’orge et deux poissons, mais qu’est-ce que cela pour tant de monde[11] ? » Si l’on s’arrête à la lettre, André semble avoir ici une foi tant soit peu plus ferme que celle de Philippe, puisqu’il dit : « Il y a ici un enfant qui a cinq pains d’orge et deux poissons » ; et cependant sa foi devient hésitante quand il ajoute : « Mais qu’est-ce que cela pour tant de monde ? » André est bien l’image de ce peuple qui crut à la parole des Prophètes tant que ceux-ci lui annoncèrent la venue du Messie dans la chair, mais qui douta et chancela dans sa foi lorsqu’il refusa, du moins en grande partie, de reconnaître ce même Messie aux jours de son avènement réel. Longtemps auparavant, Isaac nous avait offert, lui aussi, une image de la foi de ce peuple ; car lorsqu’il bénit son fils, il lui prédit beaucoup de choses sous une forme figurée ; mais parce que la vieillesse avait obscurci ses yeux, il ne connut pas celui de ses enfants qui était près de lui. L’enfant, dans le langage des Écritures, est tantôt le symbole de la pureté, tantôt l’image de la légèreté et de l’inconstance de l’esprit. Il est le symbole de la pureté, par exemple, lorsqu’il est dit du Seigneur : « Voici l’enfant de mon choix, celui que j’ai choisi moi-même[12] » ; ou bien encore lorsque le Seigneur dit lui-même à ses disciples : « Enfants, n’avez-vous rien à manger ? » Il est, au contraire, l’image de la légèreté et de l’inconstance

  1. Jac. 1, 14
  2. 1Co. 10, 13
  3. Deu. 13, 3
  4. Sir. 27, 6
  5. Psa. 25, 2
  6. Psa. 103, 15
  7. Jac. 1, 12
  8. Rom. 5, 3-4
  9. Jac. 1, 12
  10. Jn. 6, 7
  11. Id. 8-9
  12. Isa. 42, 1