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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/679

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pas quelque part en ces termes : « Puise de l’eau à ta citerne, et ne laisse à personne le loisir d’en boire[1] ? ». Suivant la lettre, il y aura donc un précepte assez inhumain, assez cruel, pour nous interdire de donner même un verre d’eau à un homme consumé par la soif. Quiconque, en effet, ne fait attention qu’au sens littéral, s’expose au danger d’une condamnation au feu éternel ; car il est écrit « Allez, maudits, au feu. éternel, car j’ai eu faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’ai eu soif, et vous ne m’avez pas donné à boire[2] ».

5. A cela, ô Arien, tu pourras répondre ainsi : Vous m’avez dit, non-seulement de ne point donner à boire à celui qui aurait soif, mais même de refuser de l’eau de ma citerne à celui qui désirerait s’en désaltérer. Voilà à quoi s’expose l’homme qui s’arrête à considérer l’écorce des saintes Écritures. S’il lit, au sujet de Dieu, ces paroles : « J’ai vu l’Ancien des jours assis sur un trône[3] », il se figure que le Père est le plus vieux ; et si cet autre passage lui tombe sous les yeux : « Quel est ce jeune homme qui vient de Bozor ? Qu’il est beau ! Comme il marche avec force et majesté[4] ! » il s’imagine que le Fils de Dieu est la personnification de la jeunesse. C’est ainsi que, pour s’arrêter nonchalamment en route, il pense que la vieillesse s’avance d’une manière incessante au-devant de la jeunesse, et finit par l’atteindre. Dès lors, en effet, que tu supposes un plus grand et un plus petit, il faut nécessairement que tu les astreignes l’un et l’autre à l’indispensable obligation de croître, de devenir vieux, et, finalement, de cesser d’être.

6. Catholiques, je vous en prie, remarquez tous en quel abîme de blasphèmes se précipitent ceux qui, dans la lecture des saints Livres, se constituent leurs propres disciples et leurs propres docteurs : ils n’oseraient lire les vaines et ineptes fables des poètes, sans se mettre sous la direction d’un maître, et, pour les enseignements de « la sagesse du Christ cachée dans son mystère[5] », ils refusent d’accepter les leçons des hommes spirituels, ils forcent la parole sacrée de Dieu de se plier à leurs caprices. En prenant la défense de l’honneur de Dieu, tu le déshonores. Veux-tu que je t’en donne la preuve, ô Arien ? Prétendrais-tu me forcer à croire, d’après toi, qu’il y a eu un temps où le Fils n’existait pas ? Explique toi : dis-nous comment, dans ton système, le Père est immuable, puisqu’on ne peut appeler Dieu l’être que l’on supposerait capable de changer. Or, il est sûr que le Père est sujet à variation, s’il y a eu un temps où il n’avait pas de Fils ; car en soutenant que le Fils a commencé d’être ce qu’il n’était pas auparavant, tu seras, par là même, obligé de donner au Père ce nom qui n’était point précédemment conforme à sa nature. On verra donc le père nouveau d’un fils tout aussi nouveau, et. tu ne pourras nier que l’ancienneté vient atteindre la nouveauté ; et comme à la nouveauté tu feras succéder l’ancienneté, comme, d’après toi, la vieillesse prendra la place de l’ancienneté ; de même tu forceras la vieillesse à disparaître sous les coups de la mort. Ne vois-tu pas, je te le demande, en quel abîme de ténèbres tu es plongé ? Si, en effet, tu ne refuses pas de croire « que le Christ soit la vertu de Dieu et la sagesse de Dieu[6] », et si, en même temps, tu soutiens qu’il y a eu un moment où le Fils n’était pas, il te faut deviner blasphémateur et dire que le Père a été sans force et sans sagesse, puisque tu cherches à démontrer qu’à un moment donné il n’avait pas ce Fils qui est sa force et sa sagesse. Or, être dépourvu de sagesse, c’est être fou, comme être privé de force, c’est la faiblesse ; nul doute à cet égard.

7. Que fais-tu, ô hérétique ? Pourquoi lever ton pied contre l’aiguillon ? Il en sera infailliblement blessé. À t’entendre, le Fils n’est qu’une simple créature. Paul contredit tes blasphèmes en ce passage : « Dieu était dans le Christ, se réconciliant le monde[7] ». Ne va point t’imaginer que cette parole de l’Apôtre soit la seule qui condamne ton système ; dès l’instant je te prouve à nouveau ton blasphème. Si, en effet, tu prétends que le Fils est une créature ; comme Paul a dit : « La créature est assujettie à la vanité[8] », il est évident que le Christ est assujetti à la vanité. Nous lisons encore ces autres paroles : « Toutes les créatures gémissent et sont dans les douleurs de l’enfantement[9] » ; donc, celui qui est venu délivrer le monde entier des gémissements et de la douleur gémit lui-même et se trouve dans les douleurs de l’enfantement. Enfin,

  1. Pro. 5, 15.
  2. Mat. 25, 41-42
  3. Dan. 7, 9
  4. Isa. 63, 1
  5. 1Co. 2, 7
  6. 1Co. 1, 24
  7. 2Co. 5, 19
  8. Rom. 8, 20
  9. Id. 22