Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/716

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son salut ». et comme il a été vu par les Gentils, le Seigneur a révélé sa justice aux yeux des nations ». Maintenant, puisque, au rapport de l’Écriture, le Père a déclaré, en ce jour et à l’occasion de son baptême, que le Christ était son Fils, cette parole du psalmiste a évidemment reçu son accomplissement : « Le Seigneur a manifesté son salut ». Car le Père pouvait-il mieux faire connaître son Sauveur qu’en le faisant connaître lui-même par ces paroles. « Celui-ci est mon Fils ? »

3. Autrefois, le Père s’était servi de Moïse et des Prophètes, il avait employé des emblèmes et des figures pour annoncer que son Fils s’incarnerait un jour ; au baptême, il a donné par lui-même et ouvertement la preuve que l’Incarnation était un fait accompli. La foule était là présente : le ciel et la terre, et tout ce qu’ils renferment, servaient de témoin : il faisait grand jour, les faits se montrèrent indéniables : on entendit une voix qui disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis toutes mes complaisances[1] ». Cette voix était très-forte ; mais, pour qu’elle ne fût pas seule à rendre témoignage à celui que le Père révélait de la sorte, le Saint-Esprit vint lui-même déclarer sa divinité : une colombe descendit donc sur sa tête, et la preuve qui résulta de cette apparition en faveur de la filiation divine du Christ précéda celle qui ressortait de la déclaration de son Père. Pour moi, je ne vois pas, en cela, seulement un témoignage en faveur du Christ, j’y aperçois encore un mystère relatif à la divinité : en effet, cette manifestation de Notre-Seigneur Jésus-Christ mettait en relief le Fils, qui était alors désigné comme tel, le Saint-Esprit qui le faisait voir, et le Père, qui déclarait sa filiation ; ainsi donc, par le fait même que la divinité tout entière proclamait le Sauveur Fils unique de Dieu et Dieu lui-même, les personnes divines se manifestaient toutes les trois.

4. Mais arrivons enfin au passage de l’Évangile qu’on nous a lu tout à l’heure, et considérons avec le plus grand soin ce trait de la puissance divine : le changement de l’eau en vin, opéré au festin des noces et raconté dans ce passage de l’Écriture, est la preuve évidente que celui qui l’a accompli est Dieu ; oui, cette preuve est incontestable. L’action divine peut-elle, en effet, se manifester d’une manière plus convaincante qu’en bouleversant et en changeant la nature des choses ? À qui peut appartenir le pouvoir de changer en un clin d’œil les éléments ? À celui-là seul qui peut les créer : cela va de soi ; car donner un autre être à ce qui existe, et tirer du néant ce qui n’existe pas encore, c’est le fait de la même puissance. O l’admirable, ô l’inestimable force de notre Sauveur ! Les urnes se remplissent d’eau, et elles fournissent du vin aux convives : on y verse une chose, et l’on en tire une autre. Qui donc a communiqué à un élément assez d’obéissance pour le faire cesser d’être, et à un autre élément la substance nécessaire pour le faire exister ? Que des êtres pourvus d’oreilles pour entendre, et d’intelligence pour comprendre, sachent obéir, soit ; mais il est certain qu’ici ni l’eau ni le vin n’avaient des oreilles et de l’intelligence. Comment donc a-t-on pu rencontrer de la soumission en ce qui ne pouvait en avoir naturellement ? Quand des êtres entendent sans avoir d’oreilles, comprennent sans avoir d’intelligence, obéissent sans être pourvus du sentiment du devoir, l’omnipotente de la divinité s’affirme donc d’une manière palpable ; car il prouve qu’il est le Dieu de toutes les natures, celui qui donne une nature aux êtres dépourvus d’intelligence par nature. Il nous reste encore quelque chose à dire ; Dieu nous en fera plus tard la grâce. Pour aujourd’hui, prions, afin que la conversion de nos cœurs manifeste la grandeur et la puissance du Christ, comme les a déjà manifestées aujourd’hui le changement des éléments de la nature.

  1. Luc. 3, 22