Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XII.djvu/203

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CHAPITRE PREMIER. DIFFICULTÉ DU SUJET.

1. C’est une importante question que celle du mensonge ; elle jette souvent le trouble dans notre conduite habituelle, et nous offre ce double danger : ou de traiter inconsidérément de mensonge ce qui n’est pas mensonge, ou de nous persuader qu’on peut quelquefois mentir pour un motif honorable, pour rendre service ou par pitié. Nous la traiterons donc avec tout le soin possible ; nous nous proposerons les difficultés que l’on soulève ; nous n’affirmerons rien au hasard ; et le lecteur attentif saisira, dans le traité même, le résultat de nos recherches, s’il y en a un : car le sujet est obscur, plein, pour ainsi dire, d’anfractuosités et d’antres ténébreux — où souvent la pensée de celui qui le traite s’emprisonne ; au point que l’objet saisi échappe des mains, puis reparaît, pour disparaître encore. À la fin cependant, un examen attentif aboutira à un résultat certain. Que s’il s’y rencontre quelque erreur, comme la vérité délivre de toute erreur ; tandis que le faux les entraîne toutes, je me consolerai du moins en pensant que de toutes les erreurs la moins dangereuse est celle que l’on commet par un amour excessif de la vérité et une haine exagérée du faux. En effet, les censeurs austères disent : Il y a, là, excès ; et peut-être la vérité dirait-elle : Il n’y a pas encore assez. En tout cas, lecteur, qui que tu sois, ne blâme pas avant d’avoir tout lu, et tu trouveras moins à blâmer : ne fais point attention au style ; car nous nous sommes beaucoup attaché au fond des choses, et nous avons cédé au besoin d’achever promptement un ouvrage si nécessaire pour les besoins quotidiens de la vie : ce qui fait que nous nous sommes peu ou presque pas occupé du choix des expressions.

CHAPITRE II. LES PLAISANTERIES NE SONT PAS DES MENSONGES.

2. Nous exceptons d’abord les plaisanteries, qui n’ont jamais passé pour des mensonges car le ton même dont on les prononce et l’affection de celui qui se les permet dénotent, de la manière la plus évidente, qu’il n’y a là aucune intention de tromper, bien qu’on ne dise pas la vérité. Mais les âmes parfaites doivent-elles employer les plaisanteries ? C’est une autre question que nous n’avons pas intention de traiter ici. Nous mettons donc les plaisanteries de côté, et nous commençons par ce point : ne pas traiter de menteur celui qui ne ment pas.


CHAPITRE III. QU’EST-CE QUE LE MENSONGE ? POUR MENTIR, FAUT-IL AVOIR L’INTENTION DE TROMPER ET CETTE INTENTION SUFFIT-ELLE ?

3. Il faut donc voir ce que c’est que le mensonge. Car dire une chose fausse n’est pas mentir, quand on croit ou qu’on s’imagine dire la vérité. Or, entre croire ou s’imaginer il y a cette différence : que quelquefois celui qui croit, sent qu’il ne comprend pas ce qu’il croit, bien qu’il n’ait aucun doute sur la chose qu’il sait qu’il ne comprend pas, si toutefois il la croit avec une pleine conviction ; tandis que celui qui s’imagine, pense savoir ce qu’il ignore complètement. Or, quiconque énonce une chose qu’il croit ou s’imagine être vraie, bien qu’elle soit fausse, ne ment pas. En effet, il a une telle confiance dans son énoncé qu’il ne veut exprimer que ce qu’il a dans l’esprit, et qu’il