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témoignage, même quand on le dit pour louer faussement quelqu’un.

CHAPITRE XIII. PEUT-ON MENTIR POUR NE PAS TRAHIR UN HOMICIDE OU UN INNOCENT QU’ON CHERCHE POUR LE FAIRE MOURIR ?

Serait-ce que le faux témoignage consiste à mentir pour calomnier quelqu’un ou pour dissimuler une faute, ou pour causer un préjudice quelconque ? Mais si le mensonge qui tend à ôter à quelqu’un la vie temporelle est détestable, à combien plus forte raison celui qui porte atteinte à la vie éternelle ? Or tel est le mensonge qui touche l’enseignement religieux. Voilà pourquoi l’Apôtre qualifie de faux témoignage un mensonge à l’égard du Christ, quoique proféré sous l’apparence d’un éloge. Mais si c’est un mensonge qui ne soit point calomnieux, qui ne couvre aucun péché, qui ne soit point dit sur la réquisition d’un juge, qui serve à quelqu’un sans nuire à personne, faudra-t-il dire que ce n’est point un faux témoignage, ni un mensonge blâmable ?

22. Quoi donc ! si un homicide cherche asile chez un chrétien, ou que celui-ci connaisse le lieu de sa retraite et qu’il soit interrogé par celui qui cherche le meurtrier pour le mener au supplice : devra-t-il mentir ? Mais alors le mensonge ne couvre-t-il pas un péché, puisque celui pour qui on ment a commis un crime horrible ? Dira-t-on qu’on ne s’informe pas du péché, mais seulement de la retraite du coupable ? Alors ce serait un mal de cacher un péché et non de cacher un pécheur ? Oui, sans doute, répondra-t-on, car ce n’est pas en évitant le supplice, mais en le méritant qu’on se rend coupable. Or c’est un point de doctrine qu’il ne faut désespérer de la conversion de personne, ni fermer à qui que ce soit la voie du retour, soit : mais si tu es conduit devant le juge et qu’il te demande où le coupable s’est réfugié ; diras-tu : Il n’est pas là, où tu sais qu’il est ? diras-tu : Je n’en sais rien, je ne l’ai pas vu, quand tu sais et que tu as vu ? Rendras-tu un faux témoignage, et tueras-tu ton âme pour arracher un homicide à la mort ? Ou bien mentiras-tu jusqu’à ce qu’on te mène devant le juge, et diras-tu la vérité quand celui-ci t’interrogera, afin de ne pas être faux témoin ? Tu tueras donc un homme en trahissant sa retraite. Or l’Ecriture déclare aussi le traître détestable. Serait-ce qu’on n’est pas un traître, quand on répond la vérité aux questions d’un juge, et qu’on l’est quand on dénonce volontairement un criminel condamné à mort ? Mais si tu connais la retraite d’un juste, d’un innocent, condamné à mort par une autorité supérieure, et que tu sois interrogé là-dessus par un juge qui n’a pas fait la loi, mais est chargé de l’exécuter, le mensonge que tu diras en faveur de cet innocent cessera-t--il d’être faux témoignage, parce que celui qui t’interroge n’est pas ici le vrai juge, mais le simple exécuteur du jugement ? Et si c’est l’auteur même de la loi qui interroge, ou tout autre juge inique qui veut faire périr un innocent ? Que feras-tu ? Seras-tu faux témoin, ou traître ? Celui qui dénonce de lui-même à un juge juste la retraite d’un homicide ; et celui qui, interrogé par un juge injuste indique la retraite d’un innocent qu’on veut faire mourir et qui s’est confié à sa discrétion, né l’est-il plus ? Balanceras-tu, hésiteras-tu entre le crime de faux témoignage et celui de trahison ? Eviteras-tu décidément l’un et l’autre en gardant le silence, ou en déclarant que tu ne diras rien ? Et pourquoi alors ne pas le faire avant de paraître devant le juge, et éviter ainsi même le mensonge ? En évitant le mensonge, tu éviteras aussi le faux témoignage, soit que tout mensonge soit faux témoignage ou non ; mais en évitant le faux témoignage tel que tu l’entends, tu n’éviteras pas tout mensonge. Combien n’y a-t-il pas plus de force, plus de vertu à dire : je ne trahirai ni ne mentirai !

23. C’est ce que fit un jour un évêque de Thagaste, Firmus, ferme par le nom, mais plus encore par la volonté. Comme des licteurs envoyés par l’empereur réclamaient de lui un homme qui lui avait demandé asile et qu’il cachait avec le plus grand soin, il répondit qu’il ne pouvait ni mentir ni trahir personne, et les nombreux tourments qu’on lui fit subir (les empereurs n’étaient pas encore chrétiens) n’ébranlèrent pas sa résolution. Conduit devant l’empereur, il se montra sous un jour si admirable, qu’il obtint sans difficulté la grâce de son protégé. Peut-on déployer plus de force, plus de fermeté ? Mais, dira quelqu’un plus timide, je puis être prêt à subir tous les tourments, la mort même, pour éviter le péché ; mais puisque ce n’est pas un péché de mentir quand on ne nuit à personne, qu’on ne rend