Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XII.djvu/401

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pluie qui soudain tomba par torrents ; et ce fut un évident miracle. Ainsi encore Dieu nous a comme accoutumés à voir briller les éclairs, et entendre gronder la foudre ; mais sur le mont Sinaï tout s’accomplissait d’une manière inusitée. Les roulements du tonnerre ne se répétaient point confusément, et l’on eût dit qu’ils obéissaient à un signal donné. Aussi était-ce un vrai miracle. Qui fait monter l’humidité du sol, de la racine de la vigne jusqu’à la grappe du raisin, et qui la transforme en un vin délicieux, si ce n’est le Dieu dont saint Paul a dit, « que l’homme plante et arrose, mais que le Seigneur seul donne l’accroissement ( I Cor., III, 7 ) » ? Toutefois, lorsque la volonté du Sauveur Jésus changea avec une étonnante rapidité l’eau en vin, tous, et les plus incrédules eux-mêmes, y reconnurent l’œuvre de la puissance divine. N’est-ce pas Dieu qui dans le cours ordinaire de la nature revêt les arbres de feuilles et ’de fleurs ? Et toutefois, lorsque la verge d’Aaron fleurit miraculeusement, ne peut-on pas dire que la volonté du Seigneur parla au doute de l’homme ? L’accroissement des végétaux et la reproduction des animaux sont également dus à la force productrice de la matière. Mais qui a donné à la terre cette force, si ce n’est le Dieu qui au commencement lui commanda de produire les plantes et les animaux, et qui par cette parole créatrice en régla l’ordre, l’économie et la conservation ? Aussi, quand le Seigneur changea en serpent la verge de Moïse, ce fut un miracle, parce que cette verge, quoique susceptible en elle-même de transformation, parut d’une manière subite et inaccoutumée, changée en serpent. Or, celui qui donne la vie à tout être qui vient au monde, est le même Dieu qui montra sa puissance en communiquant à ce serpent une éphémère existence.


CHAPITRE VI.

MÊME SUJET.

Lorsqu’à la voix d’Ezéchiel les morts reprirent la vie, qui anima de nouveau ces cadavres ? Ce fut celui qui chaque jour anime l’enfant dans le sein de sa mère, et qui l’amène à l’existence pour le conduire plus tard au tombeau. Mais parce que ce double phénomène de la naissance et de la mort se produit régulièrement, et que semblable à un fleuve qui nous cache sa source et son embouchure, il ne laisse apercevoir que son cours, les hommes le considèrent comme un effet purement naturel. Quand il arrive, au contraire que Dieu, pour nous donner un salutaire avertissement, dérange cet ordre, nous crions au miracle.


CHAPITRE VII.

LE MIRACLE ET LA MAGIE.

12. Mais ici se présente une difficulté qui peut paraître grave à un esprit faible et borné : Pourquoi l’art de la magie reproduit-il ces mêmes miracles ? L’Ecriture nous apprend, en effet, que les magiciens de Pharaon imitèrent quelques-uns des prodiges qu’avait faits Moïse, et spécialement qu’ils changèrent leur verge en serpent. Mais comment expliquer que ce pouvoir des magiciens, qui avait pu produire des serpents, se soit subitement arrêté devant un insecte aussi petit que la mouche ? Car le moucheron n’est qu’une très-petite espèce de mouche, et ce fut la troisième plaie qui frappa les superbes égyptiens. Mais alors les magiciens s’avouèrent vaincus, et ils s’écrièrent : « Le doigt de Dieu est là ( Exod., VII, VIII ». Il nous est ainsi facile de comprendre que si les anges rebelles, que l’Apôtre nomme les puissances de l’air, peuvent du sein des ténébreux cachots, où ils ont été précipités des hauteurs célestes, opérer par la magie quelques prestiges, ils ne le peuvent que dans l’étendue de la permission qu’ils en reçoivent de Dieu. Or, le Seigneur leur donna alors cette latitude, soit pour permettre que les Egyptiens s’affermissent dans leurs erreurs, soit pour préparer le triomphe de la vérité en la personne des magiciens, qui s’étaient tout d’abord attiré par leurs prestiges l’admiration générale. Mais on peut encore dire qu’en nous attestant ces opérations magiques, l’Ecriture veut nous faire comprendre que les fidèles ne doivent point désirer beaucoup le don des miracles. Elle veut aussi nous rappeler que ces mêmes prestiges sont à l’égard des justes un exercice pour leur vertu, et une épreuve de leur patience. Ce fut, en effet, par suite de cette grande puissance du démon sur les éléments et sur les hommes, que Job perdit tous ses biens et ses enfants, et qu’il fut frappé en son corps d’une plaie affreuse.