Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XII.djvu/422

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

procurée sur un être faible et infirme, la fragilité d’une chair mortelle. Il se complaisait donc en ses richesses et sa puissance, et insultait insolemment à notre misère et notre malheur. Mais voilà que soudain la mort de l’Homme-Dieu est venue détruire sa domination. Car s’il n’a point suivi le pécheur dans l’abîme où il l’avait précipité, il n’a point laissé d’y pousser celui qui devait être le Rédempteur du monde. C’est ainsi qu’en se soumettant comme nous à la mort, le Fils de Dieu a daigné se faire notre ami, tandis que notre superbe ennemi, en évitant cette même mort, croyait assurer au-dessus de nous sa grandeur et sa prééminence. N’est-ce pas en effet ce divin Rédempteur qui a dit : « Personne ne peut témoigner un plus grand amour qu’en donnant sa vie pour ses amis (Jean, XV, 13 ) » ? Aussi le démon se crut-il lui-même supérieur à Jésus-Christ, parce que celui-ci parut dans sa passion lui céder la victoire, et parce qu’alors s’accomplit en lui cette parole du psalmiste : « Vous l’avez pour un peu de temps abaissé au-dessous des anges (Ps., VIII, 6 ) ». Mais le Christ innocent, qui a été injustement mis à mort, a vaincu justement l’esprit mauvais qui nous tenait sous sa légitime domination. Il nous a donc délivrés de la captivité où le péché nous avait plongés, et il l’a chargée elle-même de fers. En un mot, le sang du juste qui a été injustement répandu, a effacé le décret de notre condamnation, et il a mérité aux pécheurs la grâce du salut et de la rédemption. 18. Cependant cette mort elle-même du Christ sert aujourd’hui encore au démon pour tromper ses adeptes. Car jouant le rôle de faux médiateur, il leur persuade qu’il les purifiera de leurs péchés au moyen de certains rites qui n’ont d’autre efficacité que de les plonger plus profondément. Et néanmoins l’orgueil pousse alors ces malheureux à déverser tout d’abord l’ironie et le mépris sur la mort de Jésus-Christ, et puis à exalter au-dessus de lui la sainteté et la divinité de l’esprit mauvais, parce qu’il ne s’est point soumis au supplice de la croix. Mais le démon ne compte plus qu’un petit nombre d’adhérents, parce que de toutes parts les gentils ouvrent les yeux, et qu’ils viennent humblement boire aux sources du salut. Plus leur confiance au Christ rédempteur s’accroît et s’affermit, et plus ils abandonnent le démon pour accourir vers le divin Rédempteur. C’est qu’à l’insu même de cet esprit mauvais, la sagesse divine sait excellemment faire servir sa fureur et ses piéges au salut des fidèles. Et en effet elle atteint avec force de l’extrémité supérieure qui est la création de l’âme, à l’extrémité inférieure qui est la mort du corps, et elle dispose toutes choses avec douceur. Or, elle atteint ainsi d’une extrémité à l’autre à cause de sa pureté, et parce que rien de souillé n’est en elle (Sag., VIII, 1, VII, 24, 25 ). Mais si le démon peut se glorifier de ne point être assujetti à la mort du corps, et s’il s’en fait un titre d’honneur et de vanité, il ne saurait éviter cette autre mort qui lui est réservée dans les flammes éternelles de l’enfer. Car ces flammes ont la propriété, et de torturer les âmes, et de faire souffrir tous les corps terrestres et aériens. Quant à ces hommes orgueilleux qui méprisent Jésus-Christ parce qu’il a été crucifié, quoique ce supplice soit le prix inestimable dont il a payé notre rançon, ils n’éviteront point cette première mort qui par suite du péché originel est devenue le triste apanage de notre nature, et de plus ils seront précipités avec le démon dans la seconde mort des enfers. Ils préfèrent à Jésus-Christ cet esprit mauvais qui les a perfidement soumis à une mort dont la nature le préservait, et à laquelle le divin Sauveur a daigné s’assujettir par un effet de sa grande miséricorde à notre égard. Cependant ces mêmes hommes ne font aucune difficulté de se croire meilleurs que les démons, et ils ne cessent de les détester et de les poursuivre de leurs malédictions, quoiqu’ils sachent que ces esprits mauvais n’ont jamais subi ce supplice de la croix, qui est le principe et le motif de tous leurs mépris envers Jésus-Christ. C’est qu’ils ne veulent point considérer que le Verbe de Dieu, tout en restant ce qu’il est par sa divinité, c’est-à-dire immuable en son essence, a bien pu souffrir en l’infériorité de la nature humaine, qu’il avait daigné prendre, une mort dont l’esprit impur est à l’abri, parce qu’il n’a point un corps terrestre et mortel. Ainsi, malgré leur évidente supériorité sur les démons, la chair qu’ils portent les soumet à la mort ; et de même les démons qui n’ont point un corps composé de sang et de chair, sont exempts de la mort.