Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XII.djvu/464

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du souverain bien, l’âme cesse d’être bonne, mais elle ne cesse pas d’être âme : ce qui lui donne déjà l’avantage sur le corps ; la volonté perd donc ce que la volonté peut gagner. Pour vouloir se tourner vers ce qui l’a fait être, l’âme devait déjà exister ; mais avant d’exister, elle n’était pas là pour le vouloir. Et voilà notre bien : celui où nous voyons s’il a dû ou doit être tout ce que nous comprenons qu’il a dû ou doit être, et où nous voyons également qu’il n’eût pas pu, s’il ne l’eût dû, être tout ce que nous comprenons qu’il doit être, bien que nous ne sachions pas comment il l’est. Or, ce bien n’est pas loin de chacun de nous : car c’est en lui que nous ’vivons, que nous nous mouvons et que nous sommes (Act., XVII, 27, 28 ).


CHAPITRE IV.

POUR POUVOIR AIMER DIEU, IL FAUT LE CONNAITRE PAR LA VRAIE FOI.

6. Mais il faut se tenir en lui et s’attacher à lui par l’amour, afin de jouir de la présence de celui par qui nous sommes et en dehors duquel nous ne pourrions pas même exister. Car comme « c’est par la foi que nous marchons et non par une claire vue (II Cor., V, 7 ) », nous ne voyons pas encore Dieu, comme dit le même Apôtre, « face à face (I Cor., XIII, 12. ) » ; et pourtant, si nous ne l’aimons pas maintenant, nous ne le verrons jamais. Mais peut-on aimer ce qu’on ignore ? On peut connaître quelque chose et ne pas l’aimer ; mais je demande si l’on peut aimer ce que l’on ne connaît pas ; car, si on ne le peut pas, personne n’aimera Dieu avant de le connaître. Et qu’est-ce que connaître Dieu, sinon le voir des yeux de l’esprit et en avoir la ferme perception ? Car ce n’est pas un corps qui puisse être cherché avec les yeux de la chair. Mais avant de pouvoir connaître et percevoir Dieu, autant qu’il peut être vu et perçu, avantage réservé aux cœurs purs, — car il est écrit « Heureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu (Matt., V, 8 ) » — il faut que le cœur soit purifié, pour devenir capable et digne de le voir, et il ne peut être purifié qu’en aimant par la foi. Car où sont ces trois vertus, que tous les efforts des Livres divins tendent à produire dans notre âme, la Foi, l’Espérance et la Charité (I Cor., XIII, 13 ), sinon dans l’âme qui croit ce qu’elle ne voit pas, qui espère et aime ce qu’elle croit ? On aime donc même ce qu’on ignore, mais qu’on croit pourtant. Toutefois il faut bien prendre garde que l’âme, en croyant ce qu’elle ne voit pas, ne se figure ce qui n’est pas, et n’espère et n’aime ce qui est faux. Dans ce cas, la charité ne viendrait plus d’un cœur pur, d’une bonne conscience et d’une foi non feinte, laquelle est la fin des préceptes, comme dit le même Apôtre (I Tim., I, 5 ). 7. Quand, dans la lecture ou la conversation, il est question d’objets matériels que nous n’avons pas vus et que nous croyons, l’esprit se les figure nécessairement sous des traits et des formes corporelles, au gré de l’imagination. Que l’on tombe à faux ou que l’on tombe juste, ce dernier cas est très-rare, cela importe peu ; il ne s’agit pas ici de croire d’une foi ferme, mais de quelque but utile à atteindre par cette voie. En effet, parmi ceux qui lisent ou entendent lire ce qu’a écrit l’apôtre Paul ou ce qu’on a écrit de lui, qui ne se figure le visage de l’apôtre lui-même et de tous ceux dont il donne les noms ? Et dans la multitude d’hommes à qui ces épîtres sont connues et qui tous imaginent des traits et des figures différentes, on ne sait certainement pas quel est celui qui s’approche le plus de la vérité. Or, les formes corporelles de ces personnages ne sont pas l’objet de notre foi ; mais la vie qu’ils ont menée par la grâce de Dieu et les actions que l’Ecriture sainte rapporte de chacun d’eux, voilà ce qu’il est utile de croire, ce qu’il faut désirer et ne pas désespérer d’atteindre. La figure même de Notre-Seigneur est aussi l’objet de mille imaginations différentes : et pourtant, quelle qu’elle fût, il n’en avait qu’une. Et dans ce que nous croyons de Notre-Seigneur Jésus-Christ, la notion saine n’est pas celle que l’esprit s’imagine, et qui est peut-être fort éloignée de la réalité, mais celle que nous en avons d’après l’espèce humaine ; car nous portons l’idée de la nature humaine gravée dans notre âme, à tel point que nous reconnaissons l’homme ou la forme humaine aussitôt qu’elle frappe nos yeux.