Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XII.djvu/473

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Trinité, le Dieu unique. Ainsi nous désirons maintenant savoir si le Saint-Esprit est vraiment la souveraine charité ; eh bien ! s’il ne l’est pas, c’est le Père qui l’est, ou le Fils, ou la Trinité elle-même : car nous ne pouvons échapper à l’absolue certitude de la foi et à l’infaillible autorité de l’Ecriture qui nous dit : « Dieu est charité (I Jean, IV, 16 ) ». Mais nous ne pouvons commettre la sacrilège erreur d’attribuer à la Trinité ce qui ne conviendrait qu’à la créature et non au Créateur, ni lui appliquer les vains rêves de l’imagination.



CHAPITRE II. EXAMEN DES TROIS ÉLÉMENTS QUI CONSTITUENT LA CHARITÉ.


2. Cela posé, étudions les éléments que nous croyons avoir découverts. Nous ne sommes pas encore dans la sphère supérieure, nous ne parlons pas encore du Père, du Fils et du Saint-Esprit ; il s’agit seulement de cette image imparfaite — image pourtant — qui est l’homme ; ce sujet d’étude sera peut-être plus familier et plus facile pour notre raison infirme. Quand donc, moi qui me livre à cette étude, j’aime quelque chose, je découvre trois termes :

moi, la chose que j’aime et l’amour. En effet, je n’aime pas l’amour si je ne l’aime pas comme aimant ; car il n’y a pas d’amour là où rien n’est aimé. Il y a donc trois choses : celui qui aime, l’objet aimé et l’amour. Mais si je n’aime que moi-même, les trois choses ne se réduisent-elles pas à deux : moi et l’amour ? En effet, ce qui aime est la même chose que ce qui est aimé quand on s’aime soi-même, tout comme aimer et être aimé sont une chose unique quand on s’aime. C’est exprimer deux fois la même chose que de dire : Il s’aime et il est aimé de lui-même.. Alors aimer et être aimé se confondent, comme celui qui aime et celui qui est aimé ne font qu’un. Mais, même en ce cas, l’amour et ce qui est aimé sont choses différentes : car s’aimer soi-même, ce n’est pas l’amour, à moins que l’amour lui-même ne soit aimé. Or, autre chose est de s’aimer, autre chose d’aimer son amour. Car on n’aime l’amour qu’autant qu’il aime déjà quelque chose, puisqu’il n’y a pas d’amour là où rien n’est aimé. Ainsi donc, quand quelqu’un s’aime, il y a deux choses l’amour et ce qui est aimé ; car alors ce qui aime et ce qui est aimé ne font qu’un. Il n’est donc pas absolument nécessaire de voir trois choses partout où il y a amour. Ecartons ici tous les autres éléments qui constituent l’homme ; pour éclaircir, autant que possible, le sujet qui nous occupe, ne voyons que notre âme.

Donc, quand l’âme s’aime, elle met deux choses en évidence : l’âme et l’amour. Or, qu’est-ce que s’aimer, sinon vouloir être à sa propre disposition pour jouir de soi ? Et quand ce vouloir est aussi étendu que l’être, la volonté est égale à l’âme, et l’amour égal à ce qui aime. Or, si l’amour est une substance, il est esprit et non corps, comme l’âme n’est pas corps, mais esprit. Et cependant l’amour et l’âme ne sont pas deux esprits, mais un seul esprit ; ni deux essences, mais une seule ; et toutefois ces deux choses : ce qui aime et l’amour, ou, si vous le voulez, ce qui est aimé et l’amour, sont une seule chose. Et ces deux expressions ont un sens relatif, car aimant se rapporte à amour, et amour à aimant. En effet, celui qui aime éprouve quelque amour, et l’amour appartient à quelqu’un qui aime. Or, les mots âme et esprit ne sont pas relatifs, mais indiquent une essence. Car l’âme et l’esprit ne sont pas âme et esprit parce qu’ils appartiennent à un homme. Abstraction faite de l’homme, — titre qui suppose l’adjonction d’un corps, — abstraction faite du corps, l’âme et l’esprit restent ; mais abstraction faite de celui qui aime, l’amour disparaît, et en supprimant l’amour, on fait disparaître celui qui aime. Ainsi donc, au point de vue relatif, ce sont deux choses : mais, pris en eux-mêmes, ils sont, individuellement, esprit, et, réunis, un seul esprit ; individuellement, âme, et réunis, une seule âme.

Où est donc la Trinité ? Redoublons d’attention et invoquons la lumière éternelle, afin qu’elle éclaire nos ténèbres et que nous voyions en nous, autant que possible, l’image de Dieu.


CHAPITRE III. IMAGE DE LA TRINITÉ DANS L’AME DE L’HOMME QUI SE CONNAÎT ET S’AIME. L’ÂME SE CONNAÎT ELLE-MÊME PAR ELLE-MÊME.


3. L’âme ne peut s’aimer, si elle ne se connaît pas ; car comment aimer ce qu’on ignore ? Et si on dit que l’âme se croit telle d’après une notion générale ou spéciale, ou parce qu’elle sait par expérience que d’autres âmes