Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XII.djvu/476

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n’y a ni mélange ni confusion ; bien que chacune de ces choses soit distincte en elle-même, et que toutes soient réciproquement dans toutes, soit chacune en deux, soit deux dans chacune. Ainsi toutes sont dans toutes. En effet, d’une part, l’âme est certainement âme en elle-même, puisqu’elle est appelée âme d’une manière absolue, bien que dans le sens relatif, on la dise connaissant, connue, susceptible d’être connue par rapport à la connaissance qu’elle peut avoir d’elle-même ; et aussi, aimant, aimée, aimable, au point de vue de l’amour dont elle s’aime. D’autre part, la connaissance quoique relative à l’âme connaissant ou connue, est aussi appelée en elle-même connue et connaissant : car la connaissance, par laquelle l’âme se connaît, ne s’ignore point elle-même. De même l’amour, bien que relatif à l’âme qui aime et dont il est l’amour, est cependant amour pour lui-même et en lui-même : car l’amour est aimé, et ne peut être aimé d’un autre amour, c’est-à-dire que de lui-même. Ainsi chacune de ces choses sont en elles-mêmes. Elles sont aussi réciproquement les unes dans les autres, puisque l’âme qui aime est dans l’amour, que l’amour est dans la connaissance de l’âme qui aime, et la connaissance dans l’âme qui connaît. Chacune d’elles sont donc dans les deux autres, puisque l’âme qui se connaît et s’aime, est dans son amour et sa connaissance ; que l’amour de l’âme qui s’aime et se connaît, est dans l’âme et dans la connaissance de l’âme ; et que la connaissance de l’âme qui se connaît et s’aime, est dans l’âme et dans l’amour de l’âme, puisqu’elle s’aime et se connaît s’aimant. Par conséquent encore, deux de ces choses sont en chacune d’elles, puisque l’âme qui se connaît et s’aime est avec sa connaissance dans son amour, et avec son amour dans sa connaissance ; et que l’amour et la connaissance sont aussi ensemble dans l’âme qui s’aime et se connaît. Et comment toutes sont dans toutes, nous l’avons déjà montré plus haut, puisque l’âme s’aime tout entière, se connaît tout entière, connaît tout son amour, et aime toute sa connaissance, quand ces trois choses sont parfaites en elles-mêmes. Et par un merveilleux procédé, ces trois choses sont inséparables, et néanmoins chacune d’elles est substance, et toutes ensemble sont une seule et même substance ou essence, puisque leurs noms ne sont que l’indice de leurs rapports mutuels.


CHAPITRE VI. CONNAITRE UNE CHOSE EN ELLE-MÊME ET LA CONNAITRE DANS L’ÉTERNELLE VÉRITÉ. C’EST D’APRÈS LES RÈGLES DE L’ÉTERNELLE VÉRITÉ QU’IL FAUT JUGER MÊME DES CHOSES CORPORELLES.


9. Cependant, en se connaissant et en s’aimant, l’âme humaine ne connaît et n’aime point une chose immuable ; et autre est la manière dont un homme, attentif à ce qui se passe en lui, manifeste son âme, autre la manière dont il définit l’âme humaine d’après une notion spéciale ou générale. Ainsi quand il me parle de son âme propre, qu’il me dit comprendre oit ne pas comprendre ceci ou cela, vouloir ou ne pas vouloir ceci ou cela, je le crois sur parole ; mais quand il dit la vérité sur l’âme humaine ou en particulier ou en général, je reconnais la justesse de son langage et je l’approuve. Il est donc clair qu’autre chose est ce qu’il voit en soi, qu’il peut exprimer et qu’un autre croira sur sa parole sans le voir, autre chose ce qu’il voit dans la vérité elle-même et qu’un autre peut voir aussi car l’un subira les changements que le temps amène et l’autre reste immuable dans l’éternité. Car ce n’est pas en voyant des yeux du corps une multitude d’esprits, que nous nous formons par analogie une notion générale ou spéciale, de l’âme humaine ; mais nous voyons l’immuable vérité, d’après laquelle nous établissons, aussi parfaitement que cela nous est possible, non qu’elle est l’âme de chaque homme, mais qu’elle doit être par des raisons éternelles.

10. Quant aux images des choses matérielles introduites par l’entremise des sens corporels, infusées en quelque sorte dans notre mémoire, et d’après lesquelles nous nous figurons d’une manière arbitraire les objets que nous n’avons pas vus, ou autrement qu’ils ne sont, ou, par pur hasard, tels qu’ils sont : il est démontré que quand nous les approuvons en nous-mêmes ou les désapprouvons, si notre jugement est juste, il a lieu en vertu d’autres règles également immuables et supérieures à notre âme. En effet, quand je me rappelle les murs de Carthage que j’ai vus, ou que je me figure ceux d’Alexandrie que je n’ai pas vus, et que je donne raisonnablement la préférence à certaines formes imaginaires sur d’autres : le jugement de la vérité