Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XII.djvu/487

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CHAPITRE VI.

JUGEMENT ERRONÉ DE L’AME SUR ELLE-MÊME.

8. Or, l’âme se trompe quand elle s’unit à ces images avec tant de passion qu’elle s’imagine être de même nature qu’elles. Elle s’y assimile en quelque sorte, non réellement, mais par la pensée ; non qu’elle se croie une image, mais elle se confond avec l’objet dont elle porte l’image en elle-même. Elle conserve cependant la faculté de juger et de discerner l’objet matériel qu’elle a laissé au dehors et l’image qu’elle en garde au dedans d’elle. Nous exceptons les cas où ces images sont aussi vives que si elles étaient, non plus présentes seulement à la pensée, mais réellement senties au dehors, comme il arrive dans le sommeil, dans la folie ou dans l’extase.


CHAPITRE VII.

OPINION DES PHILOSOPHES SUR LA SUBSTANCE DE L’ÂME.

9. Quand l’âme se croit quelque chose de ce genre, elle se prend pour un corps. Et comme elle sent fort bien qu’elle domine le corps, il en est résulté que quelques-uns se sont demandé quel est ce principe plus puissant dans le corps, et ils ont cru que c’était l’intelligence, ou plutôt l’âme tout entière. Les uns ont opiné pour le sang, d’autres pour le cerveau, d’autres pour le cœur — non pas dans ce sens où l’Ecriture dit : « Je vous louerai, Seigneur, de toute l’étendue de mon cœur » ; et encore : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur (Ps., IX, CX, CXXXVII ; Deut., VI, 5 ; Matt., XXII, 37 ) » : texte où le cœur est pris pour l’âme, par catachrèse ou par métaphore mais ils ont réellement entendu cette partie du corps que la dissection nous montre dans les entrailles humaines ; — d’autres ont cru l’âme composée de molécules très-petites et indivisibles, qu’ils appellent atomes, et qui se seraient unies et accrochées ensemble. Il en est qui ont prétendu que sa substance était de l’air ou du feu. D’autres, ne pouvant s’imaginer une substance immatérielle, et ne voyant pas que l’âme fût un corps, ont affirmé qu’elle n’était pas une substance, mais la simple constitution de notre corps, ou l’ensemble des éléments primordiaux qui relient ensemble ses parties charnues. Mais tous ceux-là l’ont crue mortelle puisque, qu’elle soit corps ou l’organisation du corps, il est impossible qu’elle jouisse d’une durée sans terme. Quant à ceux qui ont vu dans sa substance un certain principe vital immatériel — ils avaient découvert que tout corps vivant possède un principe qui l’anime et le vivifie — ils ont cherché, conséquemment à leur opinion, à prouver que l’âme est immortelle, puisque la vie ne peut cesser de vivre. Quant à ce je ne sais quel cinquième corps, que quelques-uns ont ajouté aux quatre éléments si connus et dont ils ont voulu former l’âme, je ne pense pas que ce soit le cas d’en parler ici. En effet ou ils entendent comme nous, par corps ce qui est contenu dans l’espace local et est moindre dans la partie que dans le tout, et alors il faut les ranger parmi ceux qui croient l’âme matérielle ; ou ils donnent le nom de corps à toute substance, ou du moins à toute substance susceptible de changement, bien qu’ils sachent qu’elle n’occupe pas l’espace en longueur, en largeur et en hauteur, et alors c’est une dispute de mots dans laquelle nous n’avons pas à entrer. 10. A travers toutes ces opinions, quiconque voit que la nature de l’âme est une substance, et une substance immatérielle, c’est-à-dire qu’elle n’occupe pas une place plus ou moins grande dans l’espace par telle ou telle partie de son être : celui-là voit aussi nécessairement que l’erreur de ces philosophes ne vient pas de ce qu’ils n’ont pas la notion de l’âme, mais de ce qu’ils y ajoutent des choses sans lesquelles ils ne sauraient imaginer une nature quelconque. En effet tout ce qu’on pourra offrir à leur pensée en dehors des images des corps, ils le regarderont comme pure chimère. Que l’âme ne se cherche donc pas, comme si elle se faisait défaut à elle-même. Car quoi d’aussi présent à la connaissance que ce qui est présent à l’âme ? Or, qu’y a-t-il d’aussi présent à l’âme que l’âme elle-même ? Et si l’on s’en tient à l’étymologie, que signifie le mot invention, sinon arriver à ce que l’on cherche (In venire, venir dedans ) ? C’est pourquoi on ne dit pas des choses qui se présentent naturellement à l’esprit qu’elles sont trouvées ou inventées, quoiqu’on puisse dire qu’elles sont connues ; la raison en est que nous ne dirigeons pas notre attention à les chercher pour arriver à elles, c’est-à-dire pour les trouver. Donc de même que, quand l’œil ou tout autre sens du corps cherche quelque chose, c’est l’âme elle-même qui cherche —