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CHAPITRE X.

IL EST TROIS CHOSES QUE L’ÂME SAIT D’ELLE-MÊME AVEC CERTITUDE : QU’ELLE COMPREND, QU’ELLE EXISTE ET QU’ELLE VIT.


13. Qu’elle n’ajoute donc rien à ce qu’elle sait qu’elle est, quand on lui ordonne de se connaître. Elle a en effet la certitude que c’est à elle qu’on parle : à elle qui est, qui vit et qui comprend. Or, le cadavre est aussi, et l’animal vit ; mais elle comprend qu’elle n’est ni cadavre, ni animal. Elle sait donc qu’elle est et qu’elle vit, comme est et vit une intelligence. Quand par exemple l’âme se croit air, elle pense que l’air a l’intelligence, mais elle sait qu’elle comprend. Or, elle pense seulement qu’elle est air, mais elle ne le sait pas. Qu’elle écarte donc ce qu’elle pense, qu’elle voie ce qu’elle sait ; qu’il ne lui reste que ce qui a été admis sans hésitation, par ceux mêmes qui ont cru que l’âme était telle ou telle espèce de corps. Car toute âme ne croit pas être air ; mais, comme nous l’avons dit, les unes croient être feu, les autres cervelle, celles-ci telle espèce de corps, celles-là telle autre toutes cependant comprennent qu’elles ont l’intelligence, l’être et la vie. Seulement elles rattachent l’intelligence à ce qu’elles comprennent, et rapportent à elles-mêmes l’existence et la vie. Et aucune ne doute qu’il est impossible de comprendre sans vivre, et de vivre sans exister, par conséquent, que ce qui comprend est et vit, non comme le cadavre qui ne vit pas, non comme l’être animé qui vit et ne comprend pas, mais d’une manière propre et bien supérieure. De même ces âmes savent qu’elles veulent, et, en même temps, elles savent que personne ne peut vouloir, s’il n’est et ne vit ; et elles rapportent leur volonté à quelque chose qu’elles veulent de cette volonté même. Elles savent aussi qu’elles se souviennent, et, en même temps, que personne ne peut se souvenir, s’il n’est et ne vit ; mais nous rapportons la mémoire à quelque chose dont nous nous souvenons par cette mémoire même. De ces trois choses, deux, la mémoire et l’intelligence, renferment la connaissance et la science d’un grand nombre d’objets ; et la volonté est le moyen par lequel nous en jouissons ou nous en usons. En effet, nous jouissons des choses connues, dans lesquelles la volonté cherche pour elle-même son repos et son plaisir ; et nous usons de celles qui nous servent de moyen pour obtenir d’autres satisfactions. Et, pour l’homme, le vice et le péché ne sont pas autre chose qu’un mauvais usage et une mauvaise jouissance. Mais ce n’est point là notre sujet. 14. Puis donc qu’il s’agit de la nature de l’âme, écartons de notre pensée toutes les connaissances qui nous viennent du dehors par l’entremise des sens corporels, et examinons plus attentivement ce que nous avons dit, que toutes les âmes se connaissent elles-mêmes et avec certitude. En effet, est-ce l’air qui a la faculté de vivre, de se souvenir, de comprendre, de vouloir, de penser, de savoir ? ou est-ce le feu, la cervelle, le sang, les atomes, ou je ne sais quel cinquième élément ajouté aux quatre autres, ou l’ensemble et l’organisation de notre corps ? c’est une question sur laquelle les opinions sont partagées, les uns adoptant celle-ci et les autres celle-là. Et cependant personne ne doute qu’il ait la faculté de vivre, de se souvenir, de comprendre, de vouloir, de penser, de savoir et de juger. Bien plus, s’il doute, il vit ; s’il doute de l’origine de son doute, il se souvient ; s’il doute, il comprend qu’il doute : s’il doute, il veut être certain ; s’il doute, il pense ; s’il doute, il sait qu’il ne sait pas ; s’il doute, il juge qu’il ne doit pas croire au hasard. Quelle que soit donc d’ailleurs la matière de son doute, voilà des choses dont il ne doit pas douter ; car, sans elles, il ne pourrait douter de rien. 15. Mais ces choses, ceux qui pensent que l’âme est un corps, ou l’arrangement et l’organisation du corps, veulent les voir dans le sujet, en sorte que la substance de l’âme serait, selon eux, de l’air, du feu, ou un corps quelconque, qu’ils prennent pour l’âme, tandis que l’intelligence ne serait dans ce corps que comme une qualité : sujet d’un côté, accident du sujet de l’autre ; sujet, l’âme qu’ils croient matérielle ; modification du sujet, l’intelligence et toutes les facultés énumérées plus haut et dont nous avons la certitude. De cette opinion se rapproche beaucoup celle qui prétend que l’âme n’est point un corps, mais l’ensemble ou l’organisation du corps. La différence qu’il y a, c’est que ceux-là disent que l’âme est une substance ; tandis que ceux-ci prétendent que l’âme est dans le sujet, c’est-à-dire dans le corps dont elle est l’ensemble ou l’organisation. Et l’intelligence, où la