Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XII.djvu/494

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néanmoins la raison saurait comprendre qu’avant la séparation, le liquide portait l’empreinte de l’anneau, distincte de la forme de l’anneau même ; d’où il est résulté que l’une disparaissant avec la pression de l’anneau, celle de l’anneau lui-même, principe de l’autre, est restée. Ainsi, de ce que l’œil n’a plus l’impression du corps, dès que ce corps cesse d’être vu, il n’en faut pas conclure qu’il ne l’avait pas quand le corps était présent. Voilà pourquoi il est très-difficile de persuader ’aux esprits peu intelligents que l’image d’une chose visible se forme dans notre sens, tant que nous la voyons, et que cette forme même est ha vision.

4. Mais ce travail de l’esprit sera moins pénible, si l’on fait attention à ce que je vais dire. Ordinairement quand nous avons tenu quelque temps nos yeux fixés sur un flambeau et que nous les fermons ensuite, nous semblons voir des couleurs brillantes qui varient et alternent les unes avec les autres ; elles diminuent insensiblement jusqu’à ce qu’elles s’éteignent tout à fait. Eh bien ! il faut reconnaître là les vertus de la forme qui s’était imprimée dans le sens au moment où les yeux voyaient le corps brillant : restes qui varient en cessant peu à peu et pour ainsi dire graduellement. En effet, si par hasard nous avions regardé par des fenêtres, leurs barreaux nous apparaissaient à travers ces couleurs : preuve que l’impression de notre sens était produite par l’aspect de l’objet. Cette impression existait donc déjà quand nous voyions, elle était même plus claire et plus nette ; mais elle était tellement unie à la forme de la chose que nous voyions, qu’il n’était pas possible de l’en discerner c’était la vision. Bien plus, quand la flamme d’une lanterne est comme doublée par la scintillation des rayons de l’œil, il se forme deux visions, bien qu’il n’y ait qu’un seul objet vu. C’est que les mêmes rayons partant isolément de chaque œil sont affectés individuellement, parce qu’ils ne peuvent plusse réunir pour aller de pair se fixer sur le même corps, de manière à ne former qu’un seul coup d’œil. Aussi en fermant un œil nous ne - verrons plus deux flammes, mais une seule, comme il n’y en a réellement qu’une. Mais pourquoi, l’œil gauche étant fermé, l’œil droit cesse-t-il de voir ce qu’il voyait, et, l’œil droit étant clos, l’image qui apparaissait à l’œil gauche, s’efface-t-elle ? c’est une question qui serait longue à traiter et qu’il n’est pas nécessaire de discuter pour le moment. Qu’il nous suffise de dire pour le sujet qui nous occupe, que s’il ne s’était pas formé dans notre sens une image parfaitement semblable à l’objet aperçu, nos yeux ne verraient pas une double apparence de flamme, pour avoir adopté une manière de regarder qui empêche le concours des deux rayons. En effet, de quelque manière qu’un œil puisse être dirigé, impressionné, tourné obliquement, il ne lui est pas possible de voir double un objet unique, si l’autre est fermé.

5. Cela posé, souvenons-nous de quelle manière une sorte d’unité résulte de ces trois choses de nature différente, je veux dire : l’espèce du corps soumis au regard ; l’impression qu’il produit dans le sens, et qui est la vision ou l’information du sens ; puis la volonté de l’âme qui applique le sens à l’objet sensible et y fixe la vision elle-même. La première des trois, c’est-à-dire la chose visible, n’appartient pas à la nature animée, à moins que nous ne voyions notre corps. La seconde y appartient en ce sens qu’elle se passe dans le corps, et par l’entremise du corps, dans l’âme : elle a lieu en effet dans le sens, lequel ne peut exister sans le corps et sans l’âme. La troisième appartient à l’âme seule, puisque c’est sa volonté. Malgré la différence de substance, ces trois choses forment une telle unité, que les deux premières peuvent à peine être discernées parle jugement de la raison : j’entends parler de l’apparence du corps soumis au regard, et de l’image qui s’en fait dans le sens, c’est-à-dire de la vision. Et ha volonté a une telle puissance pour les unir qu’elle applique le sens qui doit être informé à l’objet qui est vu, et l’y maintient quand il est formé. Et si elle est tellement violente qu’on puisse l’appeler amour, cupidité, passion, elle affecte vivement tout le reste du corps de l’être animé, et s’assimile une espèce ou une couleur étrangère, à moins qu’elle ne rencontre quelque résistance dans une matière trop inerte ou trop dure. Ainsi on peut voir le corps du caméléon revêtir avec la plus grande facilité les couleurs qu’il a sous les yeux. Chez les autres animaux, où le corps ne se prête pas aussi aisément à ces sortes de changements, souvent les fruits trahissent les caprices des mères, les objets qui les ont le plus charmées ; car plus les embryons sont tendres et susceptibles d’impressions pour ainsi dire, plus ils sont