Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XII.djvu/540

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pour l’ouïe et qui attestent qu’elles ont été et qu’elles ne sont plus. Ces signes sont fixés ou dans un lieu, comme les monuments funéraires et autres de ce genre ; ou dans des écrits dignes de foi, comme le sont les histoires composées par des auteurs sérieux et recommandables ; ou dans l’âme de ceux qui les connaissent déjà. Connues des uns dans ce dernier cas, elles sont susceptibles de l’être pour d’autres, à la connaissance desquels elles sont antérieures, mais qui peuvent les connaître d’après l’enseignement de ceux qui les connaissent. Toutes ces choses, même quand on les apprend, forment une certaine trinité, par leur nature même qui est susceptible d’être connue, même avant d’être connue, puis par la connaissance qu’en acquiert celui qui les apprend, laquelle commence au moment où il les apprend, et enfin par la volonté qui survient en tiers pour unir ces deux termes. Puis quand elles sont connues, il se forme de leur souvenir, dans l’intérieur de l’âme, une autre trinité qui se compose : de leurs images, imprimées dans la mémoire au moment où on les apprenait ; de l’impression qui en résulte dans la pensée, quand le regard du souvenir se tourne vers elles, et de la volonté qui vient en tiers unir ces deux choses. Quant à celles qui prennent leur origine dans l’âme même où jusqu’alors elles n’existaient pas, comme la foi par exemple, et autres choses de ce genre, bien qu’elles semblent accidentelles comme venant par l’enseignement, elles ne sont cependant point extérieures ni locales comme les objets mêmes à l’existence desquels on croit ; mais elles ont leur origine au plus intime de l’âme. En effet, la foi n’est pas ce que l’on croit, mais ce par quoi l’on croit l’objet de la foi est cru, la foi est vue. Cependant comme la foi est dans l’âme et que l’âme existait avant que la foi y fût, celle-ci semble quelque chose d’accidentel, et sera rangée parmi les choses passées, quand elle aura disparu devant la claire vue. Maintenant elle forme une trinité par sa présence, puisque elle est conservée dans la mémoire, vue et aimée. Dans l’autre vie, elle en formera une autre par certaines traces qu’elle aura laissées dans la mémoire en passant, ainsi que nous l’avons déjà dit plus haut.


CHAPITRE IX.

LA JUSTICE ET LES AUTRES VERTUS CESSENT-ELLES D’EXISTER DANS LA VIE FUTURE ?

12. On demande si les vertus qui règlent cette vie mortelle, qui prennent naissance dans l’âme — puisque l’âme existait avant de les avoir — cesseront d’exister, lorsqu’elles l’auront conduite au bonheur éternel ? Quelques-uns l’ont pensé, et leur opinion se comprend, s’il s’agit des trois vertus de prudence, de force et de tempérance ; quant à la justice, elle est immortelle, et dans le ciel elle se perfectionnera en nous plutôt qu’elle ne cessera. Voici cependant ce que le prince de l’éloquence, Cicéron, a dit des quatre vertus dans son dialogue intitulé Hortensius : « S’il nous est donné, au sortir de cette vie, de vivre immortels dans ides îles fortunées, comme la fable nous le dit, à quoi bon l’éloquence, puisqu’il n’y aura plus de tribunaux ? A quoi bon même les vertus ? En effet, nous n’aurons plus besoin de force là où il n’y aura plus ni travail ni péril ; plus de justice, là où il n’y aura plus de bien étranger à convoiter ; plus besoin de tempérance pour modérer des passions qui n’existeront plus ; ni enfin de prudence, là où il n’y aura plus à choisir entre le bien et le mal. Nous serons heureux tous ensemble par la connaissance de la nature et la science, le seul privilège à reconnaître dans la vie même des dieux. Ce qui fait voir clairement que lui seul est désiré par la volonté, tandis que tout le reste tient à la nécessité ». Ainsi ce grand orateur, en vantant la philosophie, en rappelant ce qu’il avait appris des philosophes et l’expliquant avec talent et modération, prétend que ces quatre vertus ne sont nécessaires que pour cette vie, où les misères et les douleurs abondent sous nos yeux, et point du tout dans l’autre vie, s’il est donné d’y être heureux au sortir de celle-ci ; mais que les âmes vertueuses y trouveront le bonheur uniquement dans la connaissance et dans la science, c’est-à-dire dans la contemplation de la nature la plus parfaite et la plus aimable, qui n’est autre que celle qui a créé et établi toutes les autres natures. Or, si la justice consiste à être soumis à son empire, évidemment la justice est immortelle ; elle ne cessera pas d’être au sein de cette félicité, mais elle y atteindra son plus haut degré de