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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XII.djvu/542

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prévoyances sont incertaines (Sag., IX, 14 ) ». Mais la mémoire est certaine du passé et l’intelligence du présent, du présent immatériel, bien entendu : car les objets corporels sont présents aux yeux du corps. Quant à celui qui prétend qu’on ne se souvient pas du présent, qu’il veuille bien écouter ce qu’en ont dit les écrivains profanes eux-mêmes, plus occupés de la justesse des expressions que de l’exactitude des pensées : du style que de la vérité : « Ulysse ne peut souffrir de telles horreurs, et il ne s’oublie point lui-même dans un danger si pressant (Enéide, liv., III, V. 628, 629 ) ». En disant qu’Ulysse ne s’oublia pas lui-même, Virgile a-t-il entendu dire autre chose sinon qu’il se souvint de lui-même ? Et cependant, si la mémoire ne s’appliquait pas aux choses présentes, Ulysse n’aurait pu se souvenir de lui, puisqu’il était toujours présent à lui-même. Ainsi donc, comme, par rapport au passé, on appelle mémoire la faculté d’y revenir par la pensée et de s’en souvenir ; de même, par rapport au présent — ce que l’âme est toujours pour elle-même — on peut avec raison appeler mémoire la faculté d’être présente à elle-même de manière à ce qu’elle puisse être comprise par sa propre pensée, et à ce que ces deux choses soient unies entre elles par l’amour qu’elles se portent.


CHAPITRE XII.

LA TRINITÉ QUI SE FORME DANS L’AME EST L’IMAGE DE DIEU QUAND L’ÂME SE SOUVIENT DE DIEU, LE COMPREND ET L’AIME : CE QUI FORME PROPREMENT LA SAGESSE.

15. Ce n’est pas parce que l’âme se souvient d’elle-même, se comprend et s’aime elle-même, que la trinité qu’elle renferme est l’image de Dieu ; mais parce qu’elle peut aussi se souvenir de Celui qui l’a créée, le comprendre et l’aimer. C’est par là qu’elle devient sage. Si elle ne le fait pas, elle a beau se souvenir d’elle-même, se comprendre et s’aimer elle-même, elle est insensée. Qu’elle se souvienne donc du Dieu à l’image duquel elle a été faite, qu’elle le comprenne et qu’elle l’aime ; en deux mots, qu’elle honore le Dieu incréé, qui l’a créée capable de le comprendre et qu’elle peut posséder. C’est pour cela qu’il est écrit : « Honorer le Seigneur, voilà la sagesse (Job., XXVIII, 28 ) ». Ce n’est point par sa propre lumière que l’âme sera sage, mais par participation à cette lumière souveraine ; et, là où elle sera immortelle, elle règnera au sein du bonheur. Ainsi entendue, la sagesse de l’homme n’est autre chose que la sagesse de Dieu. C’est alors seulement qu’elle est vraie ; car la sagesse humaine n’est que vanité. Mais ce n’est point dans le même sens que Dieu est sage : car il ne l’est pas par participation à lui-même, comme l’âme l’est par participation à Dieu. Mais comme on appelle justice de Dieu, non-seulement celle par laquelle il est juste, mais encore celle qu’il communique à l’homme quand il justifie l’impie — celle dont parle l’Apôtre quand il dit, à propos de certains juifs : « Ignorant la justice de Dieu et cherchant à établir la leur, ils ne se sont pas soumis à la justice de Dieu (Rom., X, 3 ) » — ainsi peut-on dire de certains hommes : Ignorant la sagesse de Dieu et cherchant à établir la leur, ils ne se sont pas soumis à la sagesse de Dieu. 16. Il y a donc une nature incréée, qui a créé toutes les natures grandes et petites, plus parfaite, sans aucun doute, que tout ce qu’elle a créé, et, par conséquent, que cette nature raisonnable et intelligente dont nous parlons et qui est l’âme de l’homme, créée à l’image de son auteur. Or, cette nature, plus parfaite que toutes les autres, c’est Dieu. Et « Dieu n’est pas loin de chacun de nous », comme dit l’Apôtre, qui ajoute aussitôt : « car c’est en lui que nous vivons, que nous nous mouvons et que nous sommes (Act., XVII, 27, 28 ) ». S’il s’agissait ici du corps, on pourrait comprendre que l’Apôtre parle du monde matériel : Car là aussi notre corps vit, se meut et existe. C’est donc de l’âme faite à l’image de Dieu qu’il faut entendre ces paroles, dans un sens plus digne, qui n’ait pas trait au monde visible, mais au monde invisible. Car est-il une créature qui ne soit en Celui dont les divines Ecritures nous disent : « Puisque c’est de lui, et par « lui et en lui que sont toutes choses (Rom., XI, 36 ) ? » Or, si tout est en lui, en qui peut vivre ce qui vit, et se mouvoir ce qui se meut, sinon en Celui en qui tout est ? Cependant tous les hommes ne sont pas avec lui comme y était celui qui lui disait : « Je suis toujours avec vous (Ps., LXXII, 23. ) ». Ni lui-même n’est point avec tous dans le sens où nous disons : « Le Seigneur soit avec vous ». C’est donc un grand malheur pour l’homme de ne pas être avec Celui sans lequel il ne peut être. Car