Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XII.djvu/562

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comme le démontre ce texte : « La parole est le commencement de toute œuvre (Eccli., XXXVII, 20 ) ». Mais, ici aussi, c’est quand le verbe est vrai, que la bonne œuvre commence. Or le verbe est vrai quand il est engendré par la science du bien faire et qu’on y observe le : « Oui, oui, non, non » ; tellement que si c’est « oui » dans la science qui doit régler la vie, ce soit « oui »aussi dans le verbe par lequel on doit agir et « non », si c’est « non » : autrement le verbe sera le mensonge et non la vérité, et, par suite, il y aura péché, et non bonne œuvre. Il y a encore un autre rapprochement entre notre verbe et le Verbe de Dieu : c’est que notre verbe peut exister sans que l’action s’en suive, et qu’il ne peut y avoir d’action qui ne soit précédée du verbe ; de même que le Verbe de Dieu peut être sans qu’il existe aucune créature, et qu’il ne peut y avoir aucune créature que par celui par qui toutes choses ont été faites. C’est pourquoi ce n’est pas Dieu le Père, ni le Saint-Esprit, ni la Trinité elle-même, mais le Fils seul, c’est-à-dire le Verbe de Dieu, qui a été fait chair : afin que, notre verbe se conformant à son exemple, notre vie fût régulière, c’est-à-dire afin qu’il n’y eût pas de mensonge dans la pensée ni dans les œuvres de notre verbe. Mais cette image deviendra parfaite un jour. C’est pour atteindre cette perfection, que nous recevons d’un bon maître la foi chrétienne et les enseignements de la piété, afin que, « à face découverte », sans le voile de la Loi qui est l’ombre des choses futures, « contemplant la gloire du « Seigneur », c’est-à-dire regardant à travers un miroir, nous soyons transformés « en la même image, de clarté en clarté, comme par l’Esprit du Seigneur (II Cor., III, 18 ) », suivant l’explication que nous avons donnée de ces paroles. 24. Quand donc, par cette transformation, l’image sera parfaitement renouvelée, alors nous serons semblables à Dieu, parce que nous le verrons, non plus à travers un miroir, mais tel qu’il est (Jean, III ; 2 ), ou, comme dit saint Paul, « face à face (I Cor., XIII, 12 ) ». Mais maintenant, dans ce miroir, dans cette énigme, dans cette ressemblance quelconque, quelle immense différence ! Qui pourrait l’expliquer ? J’essaierai cependant, autant qu’il me sera possible, d’en toucher quelque chose qui puisse en donner une idée.

CHAPITRE XII.

PHILOSOPHIE DE L’ACADÉMIE.

Tout d’abord cette science, dont notre pensée se forme d’après la vérité, quand nous exprimons ce que nous savons, quelle est-elle et dans quelle mesure peut-elle provenir à l’homme le plus habile et le plus savant que nous puissions supposer ? Si nous exceptons ce qui arrive à l’âme par les sens du corps, ces choses qui sont si souvent autrement qu’elles ne paraissent, toutes ces vraisemblances dont l’encombrement est parfois tel que l’insensé se croit sain d’esprit — ce qui a donné tant de vogue à la philosophie de l’académie qui s’est mise à douter de tout, folie cent fois plus misérable encore — excepté, dis-je, ce qui vient à l’âme par les sens du corps, que nous reste-t-il en fait de connaissances, dont nous soyons aussi assurés que de notre existence ? Ici, du moins, nous ne craignons pas d’être trompés par la vraisemblance, puisque nous savons avec certitude qu’on peut se tromper et vivre ; et il ne s’agit pas d’un de ces objets visibles, placés hors de nous, où il arrive au regard de se tromper, comme quand la rame, vue à travers l’eau, lui semble brisée, ou quand on est sur un vaisseau et qu’on croit voir des tours remuer, ou dans mille autres circonstances de ce genre où les choses sont autrement qu’elles ne paraissent ; car ici ce n’est pas l’œil du corps qui voit. Nous savons d’une science intime que nous vivons ; un académicien ne peut pas même dire : Peut-être dors-tu sans le savoir, et ne vois-tu qu’un rêve. Sans doute les rêves de l’homme endormi ressemblent fort à ce que voit l’homme éveillé : qui ne le sait ? Mais l’homme qui a la certitude de vivre, ne dit pas : Je sais que je suis éveillé ; il dit : Je sais que je vis ; et il vit, endormi ou éveillé. Et là-dessus il ne peut pas être trompé par des songes : car pour dormir et voir en songe, il faut vivre. Un académicien ne peut non plus lui objecter : Tu es peut-être fou sans le savoir ; les hallucinations des fous ressemblent fort aux idées des hommes sains d’esprit : car, pour être fou, il faut vivre. Et cet homme ne répond pas aux académiciens : Je sais que je ne suis pas fou, mais bien : Je sais que je vis. Ainsi donc on ne se trompe jamais et l’on ne ment jamais à dire : Je sais que je vis. Qu’on oppose donc à cette affirmation