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LA CITÉ DE DIEU.

des damnés. Qu’y a-t-il en effet de plus beau que le feu, comme principe de flamme, de vie et de lumière ? quoi de plus utile, comme propre à échauffer, à cuire, à purifier ? Et cependant, il n’est rien de plus fâcheux que ce même feu, quand il nous brûle. Ainsi donc, nuisible en de certains cas, il devient, quand on en fait un usage convenable, d’une utilité singulière ; et qui pourrait trouver des paroles pour dire tous les services qu’il rend à l’univers ? Il ne faut donc point écouter ceux qui louent la lumière du feu et blâment son ardeur ; car ils en jugent, non d’après sa nature, mais selon leur commodité, étant bien aises de voir clair et ne l’étant pas de brûler. Ils ne considèrent pas que cette lumière qui leur plaît blesse les yeux malades, et que cette ardeur qui leur déplaît donne la vie et la santé à certains animaux.

CHAPITRE V.
TOUTE NATURE DE TOUTE ESPÈCE ET DE TOUT MODE HONORE LE CRÉATEUR.

Ainsi toutes les natures, dès là qu’elles sont, ont leur mode, leur espèce, leur harmonie intérieure, et partant sont bonnes. Et comme elles sont placées au rang qui leur convient selon l’ordre de leur nature, elles s’y maintiennent. Celles qui n’ont pas reçu un être permanent sont changées en mieux ou en pis, selon le besoin et le mouvement des natures supérieures où les absorbe la loi du Créateur, allant ainsi vers la fin qui leur est assignée dans le gouvernement général de l’univers, de telle sorte toutefois que le dernier degré de dissolution des natures muables et mortelles n’aille pas jusqu’à réduire l’être au néant et à empêcher ce qui n’est plus de servir de germe à ce qui va naître. S’il en est ainsi, Dieu, qui est souverainement, et qui, pour cette raison, a fait toutes les essences, lesquelles ne peuvent être souverainement, puisqu’elles ne peuvent ni lui être égales, ayant été faites de rien, ni exister d’aucune façon s’il ne leur donne l’existence, Dieu, dis-je, ne doit être blâmé pour les défauts d’aucune des natures créées, et toutes, au contraire, doivent servir à l’honorer.

CHAPITRE VI.
DE LA CAUSE DE LA FÉLICITÉ DES BONS ANGES ET DE LA MISÈRE DES MAUVAIS.

Ainsi la véritable cause de la béatitude des bons anges, c’est qu’ils s’attachent à celui qui est souverainement, et la véritable cause de la misère des mauvais anges, c’est qu’ils se sont détournés de cet Être souverain pour se tourner vers eux-mêmes. Ce vice n’est-il pas ce qu’on appelle orgueil ? Or, « l’orgueil est le commencement de tout péché[1] ». Ils n’ont pas voulu rapporter à Dieu leur grandeur ; et lorsqu’il ne tenait qu’à eux d’agrandir leur être, en s’attachant à celui qui est souverainement, ils ont préféré ce qui a moins d’être, en se préférant à lui. Voilà la première défaillance et le premier vice de cette nature qui n’avait pas été créée pour posséder la perfection de l’être, et qui néanmoins pouvait être heureuse par la jouissance de l’Être souverain, tandis que sa désertion, sans la précipiter, il est vrai, dans le néant, l’a rendue moindre qu’elle n’était, et par conséquent misérable. Demandera-t-on la cause efficiente de cette mauvaise volonté ? il n’y en a point. Rien ne fait la volonté mauvaise, puisque c’est elle qui fait ce qui est mauvais. La mauvaise volonté est donc la cause d’une mauvaise action ; mais rien n’est la cause de cette mauvaise volonté. En effet, si quelque chose en est la cause, cette chose a quelque volonté, ou elle n’en a point, et si elle a une volonté, elle l’a bonne ou mauvaise. Bonne, cela est impossible, car alors la bonne volonté serait cause du péché, ce qu’on ne peut avancer sans une absurdité monstrueuse. Mauvaise, je demande qui l’a faite ; en d’autres termes, je demande la cause de la première volonté mauvaise, car cela ne peut pas aller à l’infini ; en effet, une mauvaise volonté, née d’une autre mauvaise volonté, n’est pas quelque chose de premier, et il n’y a de première volonté mauvaise que celle qui n’est causée par aucune autre. Si on répond que cette première volonté mauvaise n’a pas de cause et qu’ainsi elle a toujours été, je demande si elle a été dans quelque nature. Si elle n’a été en aucune nature, elle n’a point été en effet, et si elle a été en quelque nature, elle la corrompait, elle lui était nuisible, elle la privait du bien ; par conséquent la mauvaise volonté ne pouvait être dans une mauvaise nature ; elle ne pouvait être que dans une nature bonne, et en même temps muable, qui pût être corrompue par le vice. Car si le vice ne l’eût pas corrompue, c’est qu’il n’y aurait pas eu de vice, et dès lors il n’y aurait

  1. Eccli. X, 15.