Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XIII.djvu/273

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l’affirmative, pourquoi nier que Dieu ait pu créer ce qu’il n’avait pas créé auparavant, puisque le nombre des âmes affranchies, qui auparavant n’était pas, non-seulement est fait une fois, mais ne cesse jamais de se faire ? Dans l’autre cas, s’il ne faut pas que les âmes passent un certain nombre, ce nombre, quel qu’il soit, n’a jamais été auparavant, et il n’est pas possible que ce nombre croisse et arrive au terme de sa grandeur sans quelque commencement ; or, ce commencement n’avait jamais été non plus, et c’est pour qu’il fût que le premier homme a été créé.


CHAPITRE XXI.

de la formation du premier homme et du genre humain renfermé en lui

Et maintenant que j’ai résolu, dans la mesure de mes forces, ce difficile problème d’un Dieu éternel qui crée des choses nouvelles sans qu’il y ait de nouveauté dans son vouloir, il devient aisé de comprendre que Dieu a beaucoup mieux fait de ne créer d’abord qu’un seul homme, d’où le genre humain tout entier devait sortir, que d’en créer plusieurs. A l’égard des autres animaux, soit sauvages et solitaires, comme les aigles, les milans, les lions, les loups, soit privés ou vivant en troupes, tels que les pigeons, les étourneaux, les cerfs, les daims et tant d’autres, il ne les a pas fait sortir d’un seul, mais il en a créé plusieurs à la fois ; l’homme, au contraire, appelé à tenir le milieu entre les anges et les bêtes, demandait d’autres desseins. Si cette créature restait soumise à Dieu comme à son Seigneur véritable, elle était destinée à passer sans mourir[1] dans la compagnie des anges pour y jouir d’un bonheur éternel ; au lieu que si elle offensait le Seigneur son Dieu par un orgueil et une désobéissance volontaires, elle devait être sujette la mort, ravalée au niveau des bêtes, esclave de ses passions et destinée après la vie à des supplices éternels. Dieu donc, ayant de telles vues, a jugé à propos de ne créer qu’un seul homme, non certes pour le priver du bienfait de la société, mais pour lui faire aimer davantage l’union et la concorde, en unissant les hommes non — seulement par la ressemblance de la nature, mais aussi par les liens de la parenté ; et cela est si vrai qu’il ne voulut [)as même créer la femme comme il avaitcréériioinme, mais il la lira deriiomme, afin que tout le gtMin ; humain sortît d’un seul.


CHAPITRE XXII.

en même temps qu’il a prévu le péché du premier homme, dieu a prévu aussi le grand nombre d’hommes pieux que sa grâce devait sauver.

Cependant Dieu n’ignorait pas que l’homme devait pécher, et que, devenu mortel, il engendrerait des hommes qui se porteraient à de si grands excès que les bêtes privées de raison et qui ont été créées plusieurs à la fois vivraient plus sûrement et i)Ius Iranquilleinent entre elles que les hommes, qui devraient être d’autant plus unis, qu’ils viennent tous d’un seul ; car jamais les lions ni les dragons ne se sont fait la guerre comme les hommes[2].Mais Dieu prévoyait aussi que la multitude des fidèles serait appelée par sa grâce au bienfait de l’adoption, et qu’après la rémission de leurs péchés opérée par le Saint-Esprit, il les associerait aux anges pour jouir avec eux d’un repos éternel, après les avoir affranchis delà mort, leur dernière ennemie ; il savait combien ce serait chose préférable à cette multitude de fidèles de considérer qu’il a fait descendre tous les hommes d’un seul pour témoigner aux hommes combien l’union lui est agréable.


CHAPITRE XXIII.

de la nature de l’âme humaine créée a l’image de dieu.

Dieu a fait l’homme à son image ; car il lui a donné une âme douée de raison et d’intelligence qui l’élève au-dessus de toutes les bêtes de la terre, de l’air et des eaux. Après avoir formé le corps d’Adam avec de la poussière et donné une âme à ce corps, soit que cette âme fût déjà créée par avance, soit que Dieu l’ait fait naître en soufflant sur la face d’Adam, et que ce souffle divin soit l’âme humaine elle-même[3], il voulut donner au premier homme une femme pour l’assister dans

  1. Ces mots sans mourir font allusion à l’hérésie des Pélagiens ; voyez saint Augustin, De hœres., 88, tome viir, page 65 D de la dernière édition.
  2. Remarque souvent faite par les écrivains de l’antiquité. Comp. Phae, Eist. nat., lib. vn, cap. 1, et Sénèque, E pis t. ad Lucil., 103.
  3. Entre ces deux alternatives, saint Augustin préfère la première dans son traité De Gen. ad litt., n. 35.