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LA CITÉ DE DIEU.

la génération, et la forma par une puissance toute divine d’un os qu’il avait tiré de la poitrine d’Adam. Ceci au surplus ne veut pas dire être conçu grossièrement, comme si Dieu s’était servi de mains pour son œuvre, à l’exemple des artisans que nous voyons chaque jour exécuter leurs travaux matériels. La main de Dieu, c’est sa puissance, ouvrière invisible des choses visibles. Mais tout cela passe pour des fables dans l’esprit de ceux qui mesurent sur ce que leurs yeux ont l’habitude de voir la puissance et la sagesse d’un Dieu qui n’a pas besoin de semences pour produire tout et les semences elles-mêmes ; comme si les choses mêmes qui tombent sous le regard des hommes, telles que la conception et la naissance, ne leur sembleraient pas, s’ils n’en avaient l’expérience , plus incroyables encore que l’acte divin de la création ; mais la plupart aiment mieux attribuer ces effets aux causes naturelles qu’à la vertu de Dieu[1].

CHAPITRE XXIV.
LES ANGES NE SAURAIENT CRÉER LA MOINDRE CHOSE.

Mais nous n’avons rien à démêler ici avec ceux qui ne croient pas que Dieu ait fait le monde ou qu’il en prenne soin. Quant aux philosophes qui, sur la foi de leur Platon, pensent que la création des animaux mortels, et notamment de l’homme, n’est pas l’ouvrage du Dieu suprême auteur du monde, mais celui d’autres dieux inférieurs qui sont aussi son ouvrage, et dont l’homme est comme le parent[2], si nous sommes parvenu à leur persuader que c’est une superstition de sacrifier à ces dieux[3]ils renonceront aisément à voir en eux les créateurs du genre humain. C’est un sacrilège de croire ou de dire qu’un autre que Dieu soit le créateur d’un être quelconque, fût-il mortel et le plus chétif qui se puisse concevoir. Et pour ce qui est des anges, que l’école de Platon aime mieux appeler des dieux, il est très-vrai qu’ils concourent au développement des êtres de l’univers, selon l’ordre ou la permission qu’ils en ont reçue ; mais ils ne sont pas plus les créateurs des animaux que les laboureurs ne le sont des blés ou des arbres.

CHAPITRE XXV.
DIEU SEUL EST LE CRÉATEUR DE TOUTES CHOSES.

Il y a pour les êtres deux espèces de forme : la forme extérieure, celle que le potier et l’artisan peuvent donner à un corps et que les peintres et les statuaires savent imiter ; il y a ensuite la forme intérieure, qui non-seulement constitue les diverses natures corporelles, mais qui fait la vie des êtres animés, parce qu’elle renferme les causes efficientes et les emprunte à la source mystérieuse et incréée de l’intelligence et de la vie. Accordons à tout ouvrier la forme extérieure, mais pour cette forme intérieure où est le principe de la vie et du mouvement[4], elle n’a d’autre auteur que cet ouvrier unique qui n’a eu besoin d’aucun être ni d’aucun ange pour faire les anges et les êtres. La même vertu divine, et pour ainsi dire effective, qui a donné la forme ronde à la terre et au soleil, la donne à l’œil de l’homme et à une pomme, et ainsi de toutes les autres figures naturelles ; elles n’ont point d’autre principe que la puissance secrète de celui qui a dit : « Je remplis le ciel et la terre[5]», et dont la sagesse atteint d’un bout du monde à l’autre sans aucun obstacle, et gouverne toutes choses avec douceur[6] .J’ignore donc quel service les anges, créés les premiers, ont rendu au Créateur dans la formation des autres choses ; et comme je n’oserais leur attribuer un pouvoir que peut-être ils n’ont pas, je ne dois pas non plus leur dénier celui qu’ils ont. Toutefois, et quelle que soit la mesure de leur concours, je ne laisse pas d’attribuer la création tout entière à Dieu, en quoi je ne crains pas de leur déplaire,

  1. Sur la formation de la femme et sur la coopération des anges aux œuvres de Dieu, voyez le traité de saint Augustin De Gen. ad litt., n. 26-30.
  2. Voyez le Timée, 41 et seq. Le Dieu de Platon y parle en ces termes aux dieux inférieurs, dont il est l’auteur et le père : " Ecoutez mes ordres. Il reste encore à naître trois races mortelles ; sans elles le monde serait imparfait. Si je leur donnais moi-même la a naissance et la vie, ils seraient semblables aux dieux. Afin donc qu’ils soient mortels et que cet univers soit réellement un tout achevé, appliquez-vous selon votre nature à former ces animaux, a en imitant la puissance que j’ai déployée moi-même dans votre formation. Quant à l’espèce qui doit partager le nom des immortels, être appelée divine et servir de guide à ceux des autres animaux qui voudront suivre la justice et vous, je vous en donnerai la semence et le principe. Vous ensuite, ajoutant au principe immortel une partie périssable, formez-en des animaux, faites-les croître en leur donnant des aliments, et après leur mort, recevez-les dans votre sein (Tome xvii de la traduction française, pages 137, 138) » .
  3. Voyez plus haut, livre xviii, ix et x.
  4. Saint Augustin s’inspire ici, non plus de Platon, son guide ordinaire en matière de métaphysique, mais d’Aristote. La forme intérieure dont il est ici question, c’est la forme péripatéticienne, savoir l’essence de chaque substance individuelle.
  5. Jerem. xviii, 24.
  6. Sag. xviii, 1.