éternelle des âmes, fût-elle aussi vraie qu’elle est fausse, on ne pourrait pas dire que tous leurs désirs déréglés leur viennent du corps, puisque, selon les Platoniciens et leur illustre interprète, le funeste amour de la lumière ne vient pas du corps, mais de l’âme, qui en est saisie au moment même où elle est libre de tout corps et purifiée de toutes les souillures de la chair. Aussi conviennent-ils que ce n’est pas seulement le corps qui excite dans l’âme des craintes, des désirs, des joies et des tristesses, mais qu’elle peut être agitée par elle-même de tous ces mouvements.
CHAPITRE VI.
Ce qui importe, c’est de savoir quelle est la volonté de l’homme. Si elle est déréglée, ces mouvements seront déréglés, et si elle est droite, ils seront innocents et même louables. Car c’est la volonté qui est en tous ces mouvements, ou plutôt tous ces mouvements ne sont que des volontés. En effet, qu’est-ce que le désir et la joie, sinon une volonté qui consent à ce qui nous plaît ? et qu’est-ce que la crainte et la tristesse, sinon une volonté qui se détourne de ce qui nous déplaît ? Or, quand nous consentons à ce qui nous plaît en le souhaitant, ce mouvement s’appelle désir, et quand c’est en jouissant, il s’appelle joie. De même, quand nous nous détournons de l’objet qui nous déplaît avant qu’il nous arrive, cette volonté s’appelle crainte, et après qu’il est arrivé, tristesse. En un mot, la volonté de l’homme, selon les différents objets qui l’attirent ou qui la blessent, qu’elle désire ou qu’elle fuit, se change et se transforme en ces différentes affections. C’est pourquoi il faut que l’homme qui ne vit pas selon l’homme, mais selon Dieu, aime le bien, et alors il haïra nécessairement le mal ; or, comme personne n’est mauvais par nature, mais par vice, celui qui vit selon Dieu doit avoir pour les méchants une haine parfaite[1], en sorte qu’il ne haïsse pas l’homme à cause du vice, et qu’il n’aime pas le vice à cause de l’homme, mais qu’il haïsse le vice et aime l’homme. Le vice guéri, tout ce qu’il doit aimer restera, et il ne restera rien de ce qu’il doit haïr.
CHAPITRE VII.
On dit de celui qui a le ferme propos d’aimer Dieu et d’aimer son prochain comme lui — même, non pas selon l’homme, mais selon Dieu, qu’il a une bonne volonté. Cette bonne volonté s’appelle ordinairement charité dans l’Écriture sainte, qui la nomme aussi quelquefois amour. En effet, l’Apôtre veut que celui dont on fait choix pour gouverner le peuple aime le bien[2] ; et nous lisons aussi dans l’Évangile que Notre-Seigneur ayant dit à Pierre : « Me chéris-tu[3] plus que ne font « ceux-ci ? » Pierre répondit : « Seigneur, « vous savez que je vous aime » Et le Seigneur lui ayant demandé de nouveau, non pas s’il l’aimait, mais s’il le chérissait[4], Pierre lui répondit encore : « Seigneur, vous savez que je vous aime ». Enfin, le Seigneur lui ayant demandé une troisième fois s’il le chérissait, l’évangéliste ajoute : « Pierre fut contristé de ce que le Seigneur lui avait dit trois fois : M’aimes-tu ? » Et cependant le Seigneur ne lui avait fait la question en ces termes qu’une seule fois, s’étant servi les deux autres fois du mot chérir. D’où je conclus que le Seigneur n’attachait pas au mot chérir (diligere) un autre sens qu’au mot aimer (amare). Aussi bien Pierre répond sans avoir égard à cette différence d’expressions : « Seigneur, vous savez tout ; vous savez donc bien que je vous aime[5] ».
J’ai cru devoir m’arrêter sur ces deux mots, parce que plusieurs imaginent une différence entre dilection et charité ou amour. À leur avis, la dilection se prend en bonne part et l’amour en mauvaise part. Mais il est certain que les auteurs profanes n’ont jamais fait cette distinction, et je laisse aux philosophes le soin de résoudre le problème. Je remarquerai seulement que, dans leurs livres, ils ne manquent pas de relever l’amour qui a pour objet le bien et Dieu même[6]. Quant à l’Écriture sainte, dont l’autorité surpasse infiniment celle de tous les monuments humains, nulle